mercredi 24 juin 2009

Arendt et la crise de l’autorité

Selon Hannah Arendt (1906-1975), l'autorité est une forme d'obéissance qui ne requiert ni la persuasion, ni la contrainte. Si la persuasion présuppose une égalité mutuelle et se fait au moyen d'une argumentation, l'obéissance liée à la notion d'autorité opère selon un ordre hiérarchique, donc une inégalité et sans argumentation. En outre, l'utilisation de la contrainte au moyen de la force s'oppose à l'autorité, puisque dans une situation d'autorité, la légitimité et la justesse de la hiérarchie est reconnu par tout un chacun.

Dans son texte de 1958 intitulé « Qu'est-ce que l'autorité » (publié en français dans La crise de la culture), Arendt commence par faire le constat que « l'autorité a disparu du monde moderne » (p. 121). Selon elle, le développement du monde moderne est inséparable d'une crise de l'autorité toujours plus large et plus profonde. L'origine de cette crise est politique : elle réside dans la montée des totalitarismes traversée par le XXe siècle et qui a remis en cause toute forme d'autorité traditionnelle. Son extension est à présent si profonde qu'elle a atteint jusqu'à l'éducation, phase pourtant où l'autorité semble la plus évidente, puisqu'il s'agit d'habituer un nouveau venu à un monde qui lui est encore inconnu.

Le cœur de la thèse d'Arendt est que cette crise de l'autorité est liée à la disparition d'une forme d'autorité bien spécifique, celle qui est liée au passé. Le danger est de confondre la disparition des traditions, résultat du développement de la modernité, et l'oubli du passé, c'est-à-dire l'oubli de ce qui permet à l'homme d'avoir une certaine profondeur : sa capacité à construire et à préserver un monde qui soit vivable pour les générations futures.

L'autorité est une notion complexe qui est souvent amalgamée avec le totalitarisme. Ce moyen de justifier ou de disqualifier le recours à la violence (respect de l'autorité ou autoritarisme) conduit à une confusion dont le danger est de croire que finalement violence et autorité vont de paires. Or l'autorité implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté et sans être contraint par la force.

Dans un texte plus tardif intitulé « Qu'est-ce que l'éducation » (publié également dans La crise de la culture), Arendt revient sur le problème de l'autorité dans l'éducation. Dans une salle de classe, l'autorité d'un professeur repose sur sa compétence, mais pas seulement, elle repose aussi à sa capacité à pouvoir répondre du monde dans lequel il introduit les nouveaux venus que sont les enfants. Il est un représentant des adultes qui montre aux enfants le monde. Si l'autorité est en crise dans le monde éducatif, c'est « que les adultes refusent d'assumer la responsabilité du monde dans lequel ils ont placés les enfants » (p. 244).

Historiquement, cette conception conservatrice de l'éducation est ce qui a servi de modèle pour penser la politique. L'idée de Arendt est de parvenir à sauvegarder le conservatisme de l'éducation (l'éducation a pour tâche d'entourer et de protéger, de conserver), tout en remettant en cause le bienfondé de l'analogie du rapport maître et élève avec celui du gouvernant et gouverné. Tout le problème de l'éducation est de protéger la nouveauté de l'enfant.

Le problème de la politique est différent, mais lié à la crise de l'autorité dans l'éducation. Le problème du politique est de répondre du monde. Or la crise de l'autorité dans le domaine politique signifie que la responsabilité de la marche du monde n'est plus assurée, et que par conséquent l'ordre n'est plus reconnu comme légitime. Pour résoudre ce problème, la solution préconisée par Arendt est de retrouver le sens historique du terme autorité, c'est-à-dire l'autorité en tant qu'elle est séparée du pouvoir politique. Le mot d'autorité vient du verbe latin augere qui signifie augmenter. L'autorité au contraire du pouvoir plonge ses racines dans le passé. Ce qu'elle augmente constamment, « c'est la fondation » (p. 160).

6 commentaires:

  1. Vous dites que "le danger est de confondre la disparition des traditions,(...) et l'oubli du passé, c'est-à-dire l'oubli de ce qui permet à l'homme d'avoir une certaine profondeur : sa capacité à construire et à préserver un monde qui soit vivable pour les générations futures." A la page 125, elle assimile la profondeur à la mémoire et au souvenir, or vous l'associez à la capacité de construire et préserver un mode vivable. Je ne comprends pas le rapport, pourriez vous l'expliquer?

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  2. Dans l'esprit d'Arendt, il y a me semble-t-il une volonté de souligner ce que l'homme a perdu avec l'avènement de la modernité, à savoir le souci du passé. Arendt développe une philosophie conservatrice : un monde vivable est un monde dans lequel les hommes conservent un lien avec le passé et avec leurs ancêtres, non pas seulement parce qu'ils observent des traditions, mais parce qu'ils ont le souci de ceux qui sont avant et après. Ce que précisément, l'homme moderne a tendance un peu trop à négliger, c'est qu'il n'est pas seul au monde : le monde est hérité et transmis. C'est cette compréhension du monde qui est pour Arendt synonyme de profondeur.

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  3. pourquoi dit-on que le désir de connaissance de l'homme est l'un des facteurs de la remise en cause de l'autorité

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    1. Le désir de la connaissance c’est l’ambition de mieux connaitre le monde dans lequel nous vivons, de s’élever, de se perfectionner, de s’affirmer aussi. C’est prendre conscience progressivement de notre capacité à agir par nous même, s’émanciper de la tutelle des autorités, s’échapper de la notion gouverné/gouvernant. C’est un désir profond de la nature humaine qui par exemple a abouti à la révolution de 1789 avec ses conséquences radicales d’éradication et de remise en cause de l'autorité royale et de la noblesse..

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  4. je voudrai demandé si l'origine de l'autorité n'est-elle pas celle de la sécularisation?

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  5. bonsoir, moi c'est MAWAJA MATHIAS étudiant en philosophie politique niveau III à l'université de MAROUA. je voudrai savoir l'origine de la crise de l'autorité chez HANNAH ARENDT. est-ce n'est-elle pas la sécularisation?

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