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mercredi 10 mai 2017

"J'appelle pensée un discours que l'âme se tient à elle-même"

Commentaire


Le Théétète (368 av. J.-C.) est un dialogue de Platon (428-348) de la période dite de maturité. Les principaux protagonistes sont Socrate ainsi que deux mathématiciens : Théodore et Théétète qui donne son nom au dialogue. Le sous-titre du dialogue est Sur la science. Il s'ouvre sur la critique du relativisme sensualiste qui se résume par l'affirmation de Protagoras selon laquelle l'homme serait la mesure de toute chose, ce qui revient selon Socrate à donner à chacun le droit de la déclarer fausse.

Le texte ci-dessous se trouve à la suite de l'examen d'une première définition de la science. Socrate vient de conclure avec Théodore que la science est autre chose que la sensation. Il envisage donc qu'elle soit du côté de l'âme et, plus précisément, le fruit d'une opération de l'esprit qui s'appelle le jugement. Mais la science ne peut pas se confondre avec tous les jugements puisqu'il existe des jugements faux. Socrate entreprend donc de déterminer comment peuvent se former dans l'âme de faux jugements. C'est alors qu'il analyse le problème du point de vue de la pensée en examinant s'il est possible pour un sujet qui pense de se dire à soi-même qu'une chose est une autre.

dimanche 2 juin 2013

"Cogito ergo sum"

Le Penseur (1902),
Rodin.
C'est au philosophe René Descartes que l'on doit cette célèbre expression. "Je pense, donc je suis" ou en latin, langue des érudits au XVIIe siècle, "cogito ergo sum", est davantage qu'une simple déduction, c'est aussi et surtout une révolution dans l'histoire de la philosophie. Elle sert non seulement à Descartes de premier principe à sa méthode de recherche de la vérité, mais elle place aussi pour la première fois le sujet au centre des préoccupations : le sujet devient le point de départ de l'enquête philosophique et le principe de toute vérité.

Pour comprendre le sens du cogito, il faut repartir de la démarche cartésienne elle-même. L'ambition de Descartes est, en effet, de s'assurer que ce qu'il tient pour vrai l'est effectivement. Dans son Discours de la méthode (1637), il va donc partir du doute : "Je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées dans l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes". Ce doute est radical, mais il a une fonction précise : permettre de trouver un socle assuré pour pouvoir établir des connaissances. En ce sens, il se distingue du doute sceptique, du doute qui n'a pour fin que le doute lui-même. Le doute cartésien a pour fin la découverte de la vérité, c'est pourquoi il est aussi qualifié de doute méthodique ou de doute hyperbolique, c'est-à-dire poussé jusqu'à un certain point.

Ce point, c'est le cogito lui-même. Si l'on résume l'esprit de la démarche cartésienne exposée plus en détails dans les Méditations métaphysiques (1641) : pendant que je doute, je ne puis pas douter que j'existe, donc il faut nécessairement que j'existe pour pouvoir douter. Voici la première vérité dont on peut partir pour construire nos connaissances. Dans ce texte, Descartes va même plus loin que dans son Discours de la méthode, puisqu'il imagine l'existence d'un "malin génie"qui pourrait faire que les vérités mathématiques soient trompeuses. 

A partir du cogito, Descartes va pouvoir ensuite progresser dans la connaissance en suivant scrupuleusement les règles de la méthode qu'il établit dans son Discours
  • ce qui est vrai doit apparaître clairement et distinctement ;
  • les problèmes complexes doivent être ramenées à des éléments simples ;
  • les éléments simples doivent ensuite permettre de retrouver le problème complexe ;
  • cette procédure doit faire l'objet d'une vérification. 

En résumé, le cogito, "je pense, donc je suis", va servir de socle à la fondation des sciences. Une fois acquise la certitude du cogito, le sujet cartésien va pouvoir être certain de leur véracité. Le cogito est un moment philosophique essentiel, qui suit le doute radical et vient garantir la certitude de la réalité. Il répond ainsi à la question posée par Montaigne dans ses Essais : "que sais-je ?" S'il demeure un point de départ solide, tout reste encore à construire...

lundi 12 octobre 2009

Le philosophe ignorant de Voltaire

Voltaire toujours un brin provocateur, part en guerre contre les philosophes savants, ceux qui mettent en système le monde et qui s'en glorifient, croyant détenir la vérité. Derrière l'oxymore du titre Le philosophe ignorant, se cache le doute voltairien modeste et modéré, qui se distingue du doute cartésien hyperbolique et provisoire parce qu'il ne cherche pas à fonder la métaphysique, mais seulement à en démontrer les limites.

Publié en 1766, Le philosophe ignorant synthétise les doutes de Voltaire sur les philosophies de son époque, notamment celles qui sont reprises et ânonnés par les professeurs de philosophie dans les universités. Contre les idées innées de Descartes, il en appelle à l'empirisme de Locke, cet "homme modeste qui ne feint jamais de savoir ce qu'il ne sait pas" (p.77). De même que le corps acquiert ses forces progressivement, les idées s'affermissent à mesure que nous vieillissons. Vouloir aller au-delà pour en connaître les premiers principes, c'est manquer d'humilité.

« Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Que fais-tu ? » (p. 29) se demande Voltaire (alors âgé de 72 ans) au début de son livre : « un faible animal » (p. 30) répond-t-il un doute plus loin. La faiblesse consiste à naître sans force ni connaissance. Mais il n'y a pas lieu de désespérer : si la faiblesse est le fond de ce que nous sommes, encore nous est-il possible de connaître pourvue que l'on se mette toujours en quête de la vérité. Le sceptique voltairien est tout sauf un pessimiste découragé : « malgré ce désespoir, je ne laisse pas de désirer d'être instruit, et ma curiosité trompée est toujours insatiable » (p. 33).

Contre les illusions, Voltaire en appelle à l'expérience. Dans leurs déductions imaginaires, les philosophes se perdent parfois dans des considérations vaines qui sont d'un « prodigieux ridicule » (p. 34). Voltaire défend la séparation des considérations religieuses et des réflexions philosophiques au nom de ce point de départ de l'expérience. Pourtant à maintes reprises, il s'affirme déiste : « j'admets cette intelligence suprême, sans craindre que jamais on puisse me faire changer d'opinion », mais c'est à partir d'une considération liée à l'expérience : « rien n'ébranle en moi cet axiome, tout ouvrage démontre l'ouvrier » (p. 51). Il affirme même que cette intelligence doit être éternelle. Mais il n'ira pas plus loin, renonçant à dire si elle est infinie ou non : « cette intelligence est-elle infinie en puissance et en immensité, comme est incontestablement infinie en durée ? Je n'en puis rien savoir par moi-même » (p. 53).

Voltaire n'est pas un anti métaphysicien radical. S'il se moque de Pangloss dans Candide, celui qui enseigne la « métaphysico-théologo-cosmolonigologie » (p. 80), la nigologie - néologisme qui désigne la science des nigauds - c'est parce qu'il débite des discours abscons sur les fins dernières qui lui font perdre le sens commun. « Pangloss avouait qu'il avait toujours horriblement souffert ; mais ayant soutenu une fois que tout allait à merveille, il le soutenait toujours, et n'en croyait rien » (p. 257). Dans Candide, la philosophie leibnizienne et sa thèse optimiste du meilleur des mondes possibles est raillée à travers le personnage de Pangloss : il suffit de regarder autour de soi et de constater les malheurs du monde pour s'apercevoir de l'inconséquence d'une théorie aussi audacieuse que délirante. L'évidence empiriste parle d'elle-même, pourquoi vouloir nier ce que le bon sens nous amène à penser ?

Certes le bon sens seul ne suffit pas à la critique. La source du sens critique se dégage dans un doute suivi d'une analyse de l'expérience par la raison. Mais en spéculant sur le monde, les philosophes se perdent dans leurs idées et conçoivent des systèmes qui n'ont pas prise sur la réalité. « Depuis Thalès jusqu'aux professeurs de nos universités, et jusqu'aux plus chimériques raisonneurs, et jusqu'à leurs plagiaires, aucun philosophe n'a influé seulement les mœurs de la rue où il demeurait. Pourquoi ? Parce que les hommes se conduisent par la coutume et non par la métaphysique » (p. 69). Par conséquent, tout philosophe imbu de son savoir est menacé par le délire et la contingence de sa pensée. Pour se préserver de se risque, il doit garder à l'esprit que « ce qui ne peut être d'un usage universel, ce qui n'est pas à la portée du commun des hommes, ce qui n'est pas entendu par ceux qui ont le plus exercé leur faculté de penser, n'est pas nécessaire au genre humain » (p. 72). Voltaire fait ainsi d'une certaine forme d'ignorance, la meilleure assurance de la vérité.

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Voltaire (1766), Le philosophe ignorant, GF, Paris, 2009.
Voltaire (1759), Candide ou l'optimisme, in Romans et contes, GF, Paris, 1966.