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dimanche 1 avril 2018

Peut-on démontrer la liberté ?

Introduction

On entend souvent dire que la liberté est la possibilité de faire ce que l'on veut. Dans ces conditions, il suffirait par exemple de dire que l'on peut lever le bras et de lever le bras effectivement, pour avoir démontré la liberté. La démonstration correspondrait alors à une démarche où l'on apporte la preuve que l'on peut faire quelque chose en la faisant effectivement, c'est-à-dire en démontrant que l'on peut être la cause initiale d'un mouvement. Mais a-t-on pour autant démontré que nous pouvions toujours faire ce que l'on voulait ? N'avons-nous pas plutôt démontré l'inverse, à savoir que nous ne pouvions ne pas lever le bras ? Peut-on alors démontrer la liberté ?

Répondre à cette question permettrait de déterminer si la liberté existe, si elle est réelle et pas seulement une impression liée au fait que nous avons le contrôle de nos mouvements. D'ailleurs, en première approche, la liberté semble à la fois plus large et plus évidente encore : nous choisissons ce que nous voulons être, le métier que nous voulons exercer, les activités que nous souhaitons pratiquer, les endroits où nous voulons voyager, etc. Mais, en même temps, il existe aussi des contraintes auxquelles nous ne pouvons pas échapper comme par exemple travailler, supporter sa belle-mère ou payer ses impôts. En ce sens, la liberté consisterait moins à faire ce que l'on veut que de ne pas être obligé de faire ce que l'on ne veut pas. La démonstration, quant à elle, renvoie à une série de propositions rigoureuses permettant d'établir avec certitude un résultat. Or, toute la difficulté est là car le verbe "pouvoir" nécessite ici de s'interroger sur la capacité de la raison humaine à prouver par une série de déductions rigoureuses que la liberté existe. L'enjeu est majeur parce que s'il n'est pas possible de démontrer la liberté, alors c'est que l'inverse, à savoir que la liberté n'existe pas, peut être suspecté. Est-il possible d'établir que l'existence de la liberté est une certitude ?

mercredi 8 novembre 2017

"Le bois dont l’homme est fait est si courbe qu’on ne peut rien y tailler de tout à fait droit"


Commentaire

L'Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (1784) est un article en neuf propositions d'Emmanuel Kant (1724-1804) qui cherche à déterminer si l'on peut entrevoir un fil conducteur à l'histoire humaine selon un plan déterminé de la nature. Pour Kant, c'est le cas : il estime que la nature ruse en oeuvrant selon un plan caché de manière à favoriser l'avènement d'une société des nations dont l'objectif sera de maintenir la paix entre les peuples. 

Le texte ci-dessous est extrait de la VIe proposition où Kant écrit que le dernier grand problème que l'homme résoudra est celui du moyen d'atteindre une société civile administrant le droit universellement, c'est-à-dire d'une manière qui soit égale pour tous. Il affirme que les hommes sont par nature ingouvernables. Etant naturellement poussés à suivre leurs penchants égoïstes, ils ont toujours tendance à rechercher des privilèges ou des moyens d'échapper à la loi. Pour régler ce problème, il faudrait instituer un maître. Problème : il n'existe pas de maître capable d'être à la fois homme et juste par lui-même. Néanmoins, le but de la nature reste le progrès infini de l'homme par le droit. 

lundi 3 octobre 2016

Cours - La liberté

Introduction

Dans la représentation ordinaire, la liberté se trouve souvent associée à l'idée de pouvoir faire tout ce que l'on veut. En ce sens, elle peut être comprise comme le contraire de l'idée de contrainte qui est, précisément, faire ce que l'on ne veut pas. Le mot liberté vient du latin liber qui signifie "de condition non esclave, affranchi" : dans l'Antiquité, l'homme libre est celui qui n'est pas contraint au travail par son maître. La liberté suppose donc un état d'indépendance et d'autonomie par rapport à quelqu'un ou quelque chose. Mais on pourrait se demander justement si une personne qui fait tout ce qu'il veut, réalisant tous ses désirs, est vraiment libre. N'est-elle pas finalement l'esclave de ses désirs ?

Tout d'abord, une telle liberté sous-entendrait une absence totale d'obstacles, ce qui n'est pas compatible avec la condition humaine. En effet, celle-ci est telle qu'elle n'est jamais complètement libre mais doit faire face à des contraintes de toute sorte : biologiques, historiques, sociales ou psychologiques. Bref, on ne fait jamais absolument ce que l'on veut. En outre, cette liberté ferait complètement fi d'autrui. Or autrui aussi dispose de désirs et souhaite les réaliser. La difficulté est que les désirs des hommes sont souvent contradictoires. Enfin et surtout, l'homme est certes un être de désir, mais pas seulement : il est aussi doué de raison. C'est cette raison qui le rend capable de comprendre que la réalisation de tous ses désirs n'est non seulement pas possible, mais en outre pas souhaitable, car elle reviendrait à ne plus tenir compte d'autrui et de son propre désir.

samedi 1 octobre 2016

"L'homme est condamné à être libre"

Commentaire

L'existentialisme est un humanisme (1946) est le texte d'une conférence prononcée par Jean-Paul Sartre (1905-1980) où il entreprend de répondre à ses détracteurs et d'expliciter dans un langage accessible ses principales conceptions philosophiques. L'existentialisme est une doctrine qui prend comme point de départ l'existence concrète. Il existe un existentialisme chrétien qui estime que l'individu ne s'affirme que dans la foi (Kierkegaard). L'existentialisme de Sartre est, lui, athée, c'est-à-dire qu'il refuse Dieu et ne reconnaît que la réalité subjective. L'homme est un sujet qui se place plus haut en dignité que tout autre objet parce qu'il est doué de conscience. Or ce sujet a conscience de son existence, c'est-à-dire du fait qu'il se trouve jeté dans le monde (existence vient du latin ex-sistere qui signifie "se tenir hors de") il lui appartient de construire sa propre figure. 

Le texte ci-dessous revient sur la question de la liberté humaine que Sartre pense comme absolue. Il est, en effet, impossible de lui échapper : même lorsqu'on s'abstient de choisir, on réalise encore un choix. Peu avant dans la conférence, il a expliqué que l'homme n'était rien d'autre que son projet, qu'il n'existait que dans la mesure où il se réalisait. Ce qu'il est, son essence, est constituée de l'ensemble de ces actes. Elle n'est complète qu'une fois sa vie achevée. En outre, l'homme n'est pas fait par les circonstances dans lesquelles il se trouve, l'affirmer revient à être de mauvaise foi, car l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Seule compte la réalité, les rêves sont des projets qui définissent l'homme en négatif et il ne se définit en positif que par ce qu'il entreprend.

mercredi 28 septembre 2016

"La liberté transcendantale est opposée à la loi de causalité"

Commentaire

La Critique de la raison pure (1781) est un ouvrage d'Emmanuel Kant (1724-1804) qui se présente comme la détermination de l'usage légitime de la raison pour accroître la connaissance, notamment dans le domaine de la métaphysique (discipline qui étudie des objets de pensée qui dépassent notre expérience possible, en l'occurrence pour Kant : l'âme, le monde et Dieu). Il s'agit en effet de déterminer les frontières à l'intérieur desquelles nous sommes capables d'atteindre une certitude indubitable et au-delà desquelles nos connaissances sont illusoires. Après avoir montré que la connaissance consistait à unir les intuitions sensibles que donne l'expérience avec les catégories de l'entendement, il entreprend plus directement la critique de la métaphysique.

Le texte ci-dessous est extrait de "La Dialectique transcendantale". Dans "L'Esthétique transcendantale", Kant a établi l'existence de deux formes d'intuition pure qui sont la source de toute expérience possible : l'espace et le temps. Il a ensuite opéré dans "L'Analytique transcendantale" la déduction transcendantale des jugements et établi la possibilité de jugements synthétiques a priori (c'est-à-dire la possibilité de jugements qui associent une intuition pure à une catégorie de l'entendement avant l'expérience sensible). Il en vient ainsi au troisième grand moment de la Critique : celui qui s'intéresse aux erreurs que commet la raison lorsqu'elle s'affranchit de toute expérience. Il détecte ainsi quatre antinomies : la finitude du monde, l'existence d'une entité simple indivisible, la liberté et l'existence de Dieu. C'est de la troisième antinomie dont il est question ici. 

mardi 27 septembre 2016

"L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté"

Commentaire

Du contrat social (1762) de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est l'occasion d'examiner le fondement de la société : "l'acte par lequel un peuple est un peuple" (I, 5). Cet acte se matérialise par un contrat au moyen duquel les hommes passent de l'état de nature à la société civile. Mais pour cela, il faut qu'ils acceptent librement de renoncer à leur liberté naturelle, qui est une liberté toute-puissante, afin d'acquérir une liberté civile, plus mesurée, rationnelle et encadrée par les limites du droit. Par le passé, les pactes sociaux se sont réalisés au détriment de la liberté notamment afin d'assurer la sécurité (par exemple chez Hobbes). L'enjeu pour Rousseau est de parvenir à conserver cette liberté fondamentale, mais sous une autre forme.

Le texte ci-dessous constitue un chapitre intitulé "De l'état civil" (I, 8). Il s'agit d'insister sur l'intérêt qu'il existe à échanger la liberté naturelle que l'on possède à l'état de nature contre la liberté civile ou conventionnelle qui résulte de la passation d'un contrat social avec les autres hommes. L'objectif est de faire en sorte qu'ils ne soient plus contraints d'obéir à la volonté arbitraire de l'un d'entre eux. La solution consiste pour eux à se donner des lois qui résultent de leur propre volonté, à la fois générale et fondée sur la raison. Ainsi ils ne feront qu'obéir à eux-mêmes et la contrainte (qui suppose la force) aura été remplacée par l'obligation (qui est l'obéissance à la loi).

samedi 24 septembre 2016

"Il faut faire la distinction entre ce qui est certain et ce qui est nécessaire"

Commentaire

Le Discours de Métaphysique (1686) est une oeuvre de Leibniz (1646-1716) qui constitue une première ébauche de son système philosophique. Son point de départ est la perfection de Dieu et de sa création. Dieu a ensuite conçu des êtres individuels concrets qui correspondent à une vue possible sur l'univers. Ces êtres sont ce que Leibniz appelle des substances. Dans son système, elles contiennent tout ce qui leur arrivera. Il les appellera plus tard dans son oeuvre des monades (du grec monas qui signifie "unité"), unités d'être composant l'univers dans lesquelles rien n'entre de l'extérieur. Dieu est la monade des monades. Aussi curieux que cela puisse paraître, les monades n'interagissent pas entre elles. Il n'y a pas d'action directe d'une monade sur une autre. Dieu a établi une harmonie en prévoyant l'enchaînement des différents changements vécus par chaque monade de manière à ce que chacune reste indépendante vis-à-vis des autres et ne fasse que se déployer dans le temps par son concours.

Le texte ci-dessous constitue le § 13 du Discours. Il y est question de la liberté humaine. Dans le système leibnizien, celle-ci est problématique dans la mesure où Dieu ayant par avance déjà tout prévu, il devient difficile d'échapper au fatalisme, conception selon laquelle le cours de l'histoire échappe à la volonté humaine. Or Leibniz défend justement l'idée que l'homme reste malgré tout doté d'un libre-arbitre. Au § 8, Leibniz a expliqué qu'un sujet (Alexandre le Grand) contenait l'ensemble de ses prédicats (ce que l'on peut dire de lui : par exemple, roi), mais a précisé toutefois que Dieu seul pouvait les connaître tous. La solution à ce problème de la liberté va résider essentiellement dans le point de vue adopté sur la connexion des événements entre eux.

jeudi 15 septembre 2016

"Le plus bas degré de la liberté"

Commentaire

La Lettre au P. Mesland datée du 9 février 1645 fait suite aux questions que pose la publication des Méditations métaphysiques concernant le point de la liberté et, plus précisément, l'affirmation cartésienne que l'indifférence en constitue le degré le plus bas. Dans la IVe Méditation, Descartes écrit en effet que "cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait plutôt apparaître un défaut dans la connaissance, qu'une perfection dans la volonté". Il existe ainsi des degrés de liberté, cette dernière étant d'autant plus grande qu'elle conduit à choisir "ce qui est vrai et ce qui est bon" (Pléiade, p. 305).

Le texte ci-dessous reproduit intégralement cette lettre. Il importe de noter que Descartes ne nie pas l'existence de la liberté, elle lui apparaît comme un fait. En revanche, la définition de la liberté apparaît plus problématique. S'il la pose en terme d'indifférence, c'est qu'il s'inscrit dans la continuité d'un débat théologique inauguré par Augustin (354-430 ap. J.-C.) concernant l'existence du libre-arbitre. Pour certains théologiens comme Luis de Molina (1535-1600), être libre, c'est être indifférent. L'originalité de Descartes réside dans l'optique qu'il prend pour analyser la liberté : il ne se place pas sur un plan théologique comme c'était le cas à son époque (l'idée étant de concilier l'idée de liberté avec la prescience divine), mais il l'envisage par rapport à l'action pratique (comment se détermine la volonté).

mercredi 14 septembre 2016

"Les choses qui dépendent de nous sont libres par leur nature"

Commentaire

Le Manuel (v. 130) est un recueil de pensées composé par Arrien de Nicomédie, à partir de l'enseignement de son maître Epictète (50-130 ap. J.-C.). Epictète se rattache au stoïcisme tardif, c'est-à-dire celui de l'époque impériale romaine, incarné, entre autres, par Sénèque et Marc-Aurèle. La philosophie stoïcienne naît avec Zénon de Cittium (335-264 av. J.-C.). Elle prend son nom de l'endroit où Zénon réalisait son enseignement, sous un portique, et qui se dit en grec stoa. Ce courant de pensée associe une croyance dans l'existence d'une providence (tout ce qui arrive ne peut qu'être bon car inscrit dans la perfection de la nature) avec une liberté pensée d'abord et avant tout comme capacité d'agir sur soi.

Le texte ci-dessous se trouve au tout début du Manuel. Dans ces 6 premiers des 53 paragraphes qu'il compte en tout, Epictète établit la première et fondamentale règle de sa morale qui consiste à séparer ce qui dépend de nous de ce qui n'en dépend pas. Epictète est un ancien esclave (épiktétos signifie "esclave, serviteur") que son maître se plaisait à faire souffrir inutilement. C'est peut être la raison pour laquelle il développe ici une philosophie prônant le détachement et la mise à distance des représentations que l'on peut avoir des choses. Il considère que la philosophie peut servir de guide pour mener une vie heureuse et permettre, le cas échéant, la consolation.

dimanche 10 juillet 2016

“Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d’homme”

Commentaire

Du Contrat social (1762), sous-titré Principes du droit politique, est une oeuvre majeure de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Contrairement à Aristote, Rousseau pense que l'état social n'est pas un état naturel à l'homme, mais qu'avec le temps, il est devenu inévitable. Il va donc rechercher les règles d'un contrat social permettant de préserver la liberté caractéristique de l'état de nature. Son entreprise est normative : il explique non pas le fonctionnement des institutions politiques, mais décrit ce que doit être l'Etat pour que le pouvoir s'exerce de façon légitime, donc conforme au droit. 

Le texte ci-dessous est extrait du livre I, chapitre IV qui porte sur l'esclavage. Au début de ce chapitre, Rousseau part du principe qu'aucun homme n'a d'autorité naturelle sur son semblable et que la force ne peut produire aucun droit. Le seul moyen pour que les hommes s'obligent entre eux est donc de recourir à une convention afin d'instituer un Etat. Rousseau est un théoricien du contrat ou contractualiste : les hommes vivent en société après avoir établi entre eux un contrat réglant le vivre ensemble. Cependant, à la différence de ses prédécesseurs qui s'inscrivent dans ce courant, il estime que la liberté ne peut pas faire l'objet d'un échange. 

mardi 26 avril 2016

"Sans le feu, la connaissance des arts était impossible et inutile"

Commentaire

Dernier des dialogues de jeunesse ou début de ceux de la maturité, le Protagoras (ou Des Sophistes, vers 388 av. J.-C.) est un dialogue dont la place dans l'oeuvre de Platon (428-348) est incertaine. Son objet est de déterminer si la vertu peut faire l'objet d'un enseignement. Protagoras est un sophiste qui fait profession d'enseigner un art de la prudence permettant de diriger son foyer et sa cité. Socrate critique cette prétention car il est particulièrement difficile de parvenir à dire ce qu'est la vertu. 

Le texte ci-dessous constitue l'exposé du mythe de Prométhée que l'on trouve déjà chez Hésiode (Théogonie) et dont Platon s'inspire. Ce mythe explique pourquoi Prométhée déroba le feu aux dieux pour le donner aux hommes. Il est raconté par Protagoras et est destiné à répondre à Socrate qui a soulevé l'argument suivant : sur un sujet technique, seuls les spécialistes ont un avis, or dans le cas de la politique, n'importe qui se sent légitime à en avoir un. Le mythe permet à Protagoras de montrer que Zeus a donné à chaque homme la vertu civile pour contrebalancer la puissance que donne aux hommes la maîtrise du feu et des techniques.

samedi 16 avril 2016

"Changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde"

Commentaire

Le Discours de la méthode (1637) est, à l'origine, une préface à des travaux de physiques réalisés par Descartes et dont l'objet est de présenter sa méthode qu'il veut radicalement nouvelle. Comme il le souligne dans ce Discours : "si j'écris en français, qui est la langue de mon pays, plutôt qu'en latin, qui est celle de mes précepteurs, c'est à cause que j'espère que ceux qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure jugeront mieux de mes opinions que ceux qui ne croient qu'aux livres anciens" (VI). 

Bien que ces essais aient pour but d'appliquer la raison à des sujets scientifiques, Descartes n'hésite pas à évoquer également ses conceptions relatives aux questions de morale. Sa nouvelle méthode le conduit à remettre en chantier tout l'édifice de la connaissance, mais pendant ce temps, il faut bien vivre et ne point demeurer irrésolu dans ses actions, d'où la nécessité pour lui d'établir ce qu'il appelle "une morale par provision" (III), c'est-à-dire une morale en attendant la fin des travaux qu'il a entrepris dans la connaissance. Cette morale se compose de "trois ou quatre maximes" (la dernière faisant office de conclusion) :
  • obéir aux lois et aux coutumes de son pays ;
  • se tenir aussi ferme et résolu dans ses actions que possible ;
  • changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde ;
  • employer toute sa vie à cultiver sa raison.

mercredi 13 avril 2016

"L'inconscient est une méprise sur le Moi, c'est une idolâtrie du corps"

Commentaire

Les Eléments de philosophie (1916) ont été écrits par le philosophe Emile Chartier (1868-1951), plus connu sous le nom d'Alain, pendant la guerre de 14. Ils constituent une série de textes visant à clarifier certains problèmes de philosophie. Ils se composent de trois livres traitant respectivement de la connaissance par les sens, de l'expérience méthodique et de la connaissance discursive. 

L'extrait ci-dessous reproduit l'intégralité de la "Note sur l'inconscient" qui se trouve au chapitre XVI consacré au mécanisme (Livre II). Il est l'occasion pour Alain de revenir sur "cet abrégé du mécanisme" qu'est l'inconscient. Le mécanisme est, selon Alain, la doctrine d'après laquelle tous les changements dans l'univers sont des mouvements. Il critique toutefois la tendance à la simplification de la doctrine, notamment chez les disciples. Il faut toujours garder à l'esprit que rien dans les apparences n'impose l'hypothèse du mouvement et donc maintenir une certaine rigueur dans les analyses. 

jeudi 7 avril 2016

"Les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent"

Commentaire

Dans sa célèbre Lettre à Schuller, Spinoza répond à ce philosophe et médecin allemand afin de lui expliquer en quoi sa conception de la liberté diffère de celle de Descartes. Il commence par distinguer Dieu et l'homme du point de vue de la liberté, en ce que le premier est absolument libre et le second absolument déterminé. 

Pour Spinoza, une chose peut être dite "libre" à condition qu'elle agisse "par la seule nécessité de sa nature". Sinon elle est dite "contrainte". Comme chose libre, il donne l'exemple de Dieu : il existe par la seule nécessité de sa nature et il comprend toute chose. Mais il précise aussi que Dieu existe "librement (quoique nécessairement)", ce qui fait de lui un être à la fois libre et nécessaire. Or, traditionnellement, liberté et nécessité s'opposent. Qu'est-ce à dire ?

samedi 25 mai 2013

Citations sur la morale



1/ La morale

"Une vie bien réglée vaut mieux qu'une vie désordonnée"+++
Platon, Gorgias.
→ Au moyen de la métaphore des tonneaux percés, Platon, par l'intermédiaire de Socrate, condamne la définition que Calliclès donne de la vertu comme capacité d'assouvir tous ses désirs par tous les moyens. Il montre au contraire que la nature de l'homme consiste à se montrer tempérant, à donner une limite à ses désirs afin de rendre l'âme plus indépendante du corps, condition indispensable pour se rendre heureux.


"Afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions, [...] je me formai une morale par provision". +++
Descartes, Discours de la méthode, III. 
→ Dans son entreprise radicale de remise en cause des connaissances, Descartes a conscience que le doute ne peut être étendu à la connaissance pratique car il faut bien vivre en attendant de reconstruire l'ensemble du savoir. Pour cette raison, il préconise l'usage de quelques maximes de sagesse pratique afin d'éviter l'indécision et en attendant la détermination claire et distincte de la véritable nature du bien et du mal.

"Conscience ! Conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix". +++
Rousseau, L'Emile, Livre IV.
→ Pour Rousseau, la conscience est cette voix que chacun peut entendre et qui permet de sentir instinctivement le bien ou le mal. La morale est de l'ordre du sentiment et non de la raison. Elle est ce qui permet à l'humanité de s'élever au-dessus du règne animal pour se rapprocher du divin, d'où sa dimension quasi-religieuse. Mais comme tout homme possède cette capacité de juger du bien et du mal, elle se passe aisément de toute révélation.

"Le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi". +++
Kant, Critique de la raison pratique, Conclusion. 
→ Kant, tout en étant proche de Rousseau du fait de son affirmation de l'universalité de la morale, s'en distingue cependant en ce qu'il rattache la conscience morale non pas à un instinct, mais à la faculté rationnelle d'échapper au déterminisme naturel. C'est la loi, c'est-à-dire le fait que le devoir se présente à la conscience sous la forme d'un commandement, qui est au fondement même de la morale.


"Faire aux autres ce qu’on voudrait que les autres fassent pour vous, aimer son prochain comme soi-même, voilà les deux règles de perfection idéale de la morale utilitaire". +++
Mill, L'Utilitarisme, II.
→ Mill défend l'idée contre-intuitive que la morale utilitariste est compatible avec l'altruisme de la morale chrétienne. La morale utilitariste juge en effet le bien non pas à l'aune de l'utilité individuelle ou du bonheur personnel, mais par rapport à la somme de bien-être collectif qu'un comportement est susceptible d'apporter. Par conséquent, elle est porteuse du même message que celui de l'idéal chrétien correspondant à l'amour du prochain.

"Les faibles et les ratés doivent périr". +++
Nietzsche, L'Antéchrist, § 2. 
→ Avec cette formule provocante, Nietzche se veut le contempteur de la morale platonico-chrétienne. Il défend la force affirmative de la vie contre les valeurs du bien et du mal, contre le bonheur envisagé comme une paix de l'âme ou une satisfaction mesurée des désirs et contre la pitié pour la faiblesse et l'échec. A la place, il pose comme valeur ultime celle de l'accroissement de la volonté de puissance, force vitale intérieure qui ne cesse de déborder.

2/ La liberté

"Les choses qui dépendent de nous sont libres par leur nature"+++
Epictète, Le Manuel.
→ Les stoïciens comme Epictète conçoivent la liberté du point de vue de l'intériorité : la liberté se trouve ainsi restreinte à ce sur quoi nous pouvons avoir prise. Pour le reste, si cela ne dépend pas de nous, il est inutile de vouloir le changer, car la croyance d'une liberté serait une pure illusion et une source de troubles.

"Le plus bas degré de la liberté est celui où nous nous déterminons aux choses pour lesquelles nous sommes indifférents"+++
Descartes, Lettre au P. Mesland du 9 Février 1645.
→ La liberté chez Descartes est affaire de connaissance : nous sommes d'autant plus libres que nous avons de bonnes raisons d'agir d'une certaine façon plutôt qu'une autre. Ainsi, l'indifférence constitue une expérience possible de la liberté, mais aussi son degré le plus bas dans la mesure où nous n'avons aucune raison de préférer l'un ou l'autre choix d'une alternative.

"Il faut faire la distinction entre ce qui est certain et ce qui est nécessaire". +++
Leibniz, Discours de Métaphysique
→ Leibniz pense ensemble un monde où Dieu a tout déterminé à l'avance et où pourtant la liberté existe. Il faut pour cela distinguer le certain du nécessaire : les événements historiques ne sont que la suite de ce que Dieu a prévu et placé au sein de chaque individu, mais comme chaque individu l'ignore, il agit selon des raisons qui l'inclinent sans le nécessiter.

"L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté". +++
Rousseau, Du Contrat social, I, 8. 
→ Au plan politique, comment parvenir à maintenir une liberté au sein d'un pacte social unissant les hommes entre eux ? Rousseau répond qu'il faut passer d'une liberté naturelle à une liberté politique dans laquelle la loi émanant de l'ensemble d'une communauté humaine se retrouve être une loi voulue par tous. Ce faisant, l'homme s'élève au-dessus de ses propres désirs et se moralise.

"La liberté transcendantale est opposée à la loi de causalité" +++
Kant, Critique de la raison pure ("Dialectique transcendantale").
→ Kant souligne une contradiction fondamentale entre notre croyance à la liberté et la causalité : la liberté transcendantale, prise indépendamment de l'expérience, est contraire à la loi de causalité qui régit les sciences. Pour autant, elle reste une hypothèse fondamentale pour penser l'agir humain et la morale. La liberté, si elle ne peut être démontrée scientifiquement, reste un préalable pour penser l'agir humain.

"L'homme est condamné à être libre"+++
Sartre, L'existentialisme est un humanisme.
→ Pour Sartre, l'homme ne peut pas échapper à sa liberté, telle est sa peine. Si Dieu n'existe pas, tout est permis, ce qui signifie que, dans un monde sans Dieu, la responsabilité humaine devient immense car sa liberté est absolue. Aucune excuse n'est jamais suffisante pour justifier de n'avoir pas agi alors que nous le devions. 

3/ Le devoir

"Fais ton bien avec le moindre mal d'autrui qu'il est possible". +++
Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité, I.
→ Avec Rousseau, le devoir plonge ses racines dans la sensibilité naturelle, ce qu'il appelle la pitié, qui porte à la sympathie envers autrui et vient faire contrepoids à un autre sentiment naturel visant l'auto-conservation : l'amour de soi. La maxime de la moralité consiste donc à faire son bien avec le moindre mal qu'il est possible à autrui.

"Le devoir est la nécessité d’accomplir une action par respect pour la loi". +++
Kant, Fondements de la Métaphysique des moeurs, Première section.
→ Contrairement à Rousseau, Kant estime que le devoir est plus proche de la raison que de la sensibilité : il réside essentiellement dans l'accomplissement d'une action par respect pour la loi. Le devoir est désintéressé : l'action morale ne l'est que si l'action n'est motivée que par le respect de la loi morale. 

"Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle"+++
Kant, Fondements de la Métaphysique des mœurs, Deuxième section.
→ Kant donne comme critère ultime de la moralité l'impératif catégorique qui consiste à agir uniquement d'après une maxime que l'on peut universaliser. Par exemple, le vol n'est pas une action morale puisque le voleur ne peut vouloir que le vol soit permis par une loi générale sinon il ne pourrait plus rien s'approprier. En volant, il s'excepte lui-même de la loi et son action est donc immorale. 

"Même chez l'homme prétendu normal, la domination du soi par le Moi ne peut dépasser certaines limites". +++
Freud, Le Malaise dans la civilisation, Chapitre VIII.
→ Freud pose les limites du devoir et invite à réfléchir au caractère irréaliste de certaines maximes du devoir. "Aimer son prochain comme soi-même" lui apparaît être un commandement absurde puisqu'il nie au fond l'agressivité humaine. De manière plus générale, c'est le processus de civilisation qui, en cherchant à nier cette agressivité pour permettre la vie en société, rend l'homme malheureux.

"Nos devoirs - ce sont les droits que les autres ont sur nous". +++
Nietzsche, Aurore, Livre II, § 112 : "Pour l'histoire naturelle du devoir et du droit".
→ Nietzsche réalise une histoire naturelle du devoir pour montrer qu'à sa racine, il y a l'idée d'une dette à l'égard de tous ceux qui ont pourvu à notre éducation. Nos devoirs sont la marque du pouvoir que les autres ont acquis sur nous. Mais ils sont aussi un moyen de libération au sens où rendre, c'est aussi s'affranchir. Dans l'effectuation de son devoir, l'homme reconquiert et fait reconnaître son droit.

"Autant qu’il pût en juger, Eichmann agissait, dans tout ce qu’il faisait, en citoyen qui respecte la loi". +++
Arendt, Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal.
→ Arendt critique la morale du petit homme, l'obéissance de cadavre qui consiste à suivre aveuglément les lois de son pays en abdiquant toute faculté de critique et de jugement du bien et du mal. Elle invite aussi à reconsidérer le devoir dans sa conception kantienne en ce qu'il implique l'idée qu'il faudrait faire plus qu'obéir à la loi et identifier sa propre volonté au principe même de la loi morale. 

4/ Le bonheur

"La félicité et le bonheur ne sont pas l'œuvre d'une seule journée". +++
Aristote, Ethique à Nicomaque, I, 6.
→ La morale aristotélicienne est eudémoniste, c'est-à-dire qu'elle fait du bonheur le souverain bien. Ce bonheur consiste en la réalisation avec le plus de perfection possible de la fonction propre à l'homme qui est d'utiliser sa raison. Cette utilisation doit se faire avec sagesse, avec le souci de trouver le juste milieu, ce qui ne saurait se faire en un seul jour. 

"Le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse". +++
Epicure, Lettre à Ménécée.
→ Epicure aussi considère le bonheur comme le Souverain Bien, mais pour lui, il est indissociable d'une bonne gestion des plaisirs. Les plaisirs sont à la fois le commencement de la vie heureuse car ils permettent de déterminer ce qu'il faut rechercher et ce qu'il faut fuir, et aussi la fin, car c'est le plaisir qui doit rester la finalité de nos actions. Des plaisirs mesurés sont la condition d'une vie heureuse.

"Le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l’imagination"+++
Kant, Fondements de la Métaphysique des mœurs, II.
→ Pour Kant, le bonheur n'est pas la finalité de la morale. Il est un idéal de l'imagination, ce qui signifie que s'il est un but pour tous, chacun définit le bonheur comme il veut. C'est pour cette raison que le bonheur est un concept indéterminé qui ne peut pas servir à orienter notre action.

"La morale nous enseigne comment nous devons nous rendre dignes du bonheur"+++
Kant, Critique de la raison pratique, I, 2.
→ Si la morale kantienne ne nous dit pas ce qu'est le bonheur, elle enseigne sur la manière dont on peut agir afin de s'en rendre digne. Pour cela, il suffit d'agir conformément à la loi morale, d'effectuer son devoir de manière inconditionnelle, sans attendre une quelconque récompense. Ce n'est qu'une fois son devoir effectué que le bonheur devient une espérance possible avec la religion.

"Tout bonheur est négatif, sans rien de positif"+++
Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, IV.
→ Schopenhauer regarde le bonheur entendu dans son sens positif, c'est-à-dire en tant qu'état de conscience d'une plénitude de satisfaction, comme une illusion. La vérité du bonheur selon lui est de n'être qu'un état se caractérisant par l'absence de souffrance. Il trouve la preuve de cette vérité dans l'art qui ne fait jamais du bonheur son sujet principal afin d'éviter son essentielle monotonie.

"Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante". +++
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue, § 5.
→ Nietzsche se fait le contempteur du bonheur du dernier homme, un bonheur prudent, mesuré, qui ne doit pas gâter la vie. Au contraire, il suggère que le bonheur est une conquête de l'existence qui ne peut s'acquérir qu'à travers le dépassement de soi. Le bonheur nietzschéen suppose de s'affirmer à l'égard de la vie en tant qu'être créateur : il n'est pas passif, mais actif.