jeudi 7 juin 2018

Einstein, Freud, Pourquoi la guerre ? (1933)

Présentation du texte

Le texte qui va suivre est la traduction par Blaise Briod d'une lettre d'Albert Einstein à Sigmund Freud, suivie de la lettre de réponse de Sigmund Freud à Albert Einstein. Sous le titre Pourquoi la guerre ?, elles furent publiées en 1933 par l'Institut international de coopération intellectuelle. Ce volume faisait partie d'une série de publications patronnées par l'Institut, les Correspondances, dans lesquelles des personnalités marquantes du monde intellectuel échangeaient leurs vues sur des questions essentielles, la plus cruciale étant la menace d'une guerre.

Existe-t-il un moyen d'affranchir les hommes de la menace de la guerre ? De canaliser l'agressivité de l'être humain et de le rendre psychiquement mieux armé contre ses pulsions de haine et de destruction ? Telles sont les questions qu'Albert Einstein pose en juillet 1932 à Sigmund Freud, alors que les périls montent en Europe avec l'arrivée au pouvoir du fascisme en Italie (Mussolini devient président du Conseil en 1922) et la montée du nazisme en Allemagne (Hitler sera nommé Chancelier en janvier 1933). 

Dès septembre 1932, le père de la psychanalyse, qu'Einstein appelle le "grand connaisseur des instincts humains", répond au physicien, en s'expliquant sur les soubassements psychiques du comportement, et en précisant les voies possibles vers une cessation des conflits qui opposent les hommes. Il peut également être intéressant de noter que Freud enverra un exemplaire dédicacé de l'ouvrage, reprenant ces deux lettres, à Mussolini avec l'inscription suivante : "À Benito Mussolini, avec le salut respectueux d’un vieil homme qui reconnaît en la personne du dirigeant un héros de la culture".

vendredi 4 mai 2018

"La civilisation doit tout mettre en œuvre pour limiter l'agressivité humaine"

Commentaire

Malaise dans la civilisation (1929) est un ouvrage de Sigmund Freud (1856-1939) dont l'objet principal est d'exposer le malaise interne au processus de civilisation. Ce processus se caractérise par la transformation des instincts (ou des pulsions) en aspirations socialement acceptables afin de permettre la vie en société. Cependant, il porte en lui-même les germes d'un malaise parce qu'il revient, en fait, à forcer les individus à renoncer à leurs instincts, ce qui les rend malheureux. Dans sa typologie des instincts, Freud en distingue deux fondamentaux : instinct érotique et instinct de mort. Il les qualifie aussi en utilisant le nom du dieu grec correspondant, respectivement Eros et Thanatos.  

C'est de cet instinct de mort dont il est question dans le texte présenté ci-dessous, extrait de la fin du chapitre V, et plus précisément d'une notion qui en découle et qui est l'agressivité. Pour Freud, en effet, il est naïf de considérer comme le font les religions, que l'homme n'est qu'amour et paix. Autrui peut à tout moment devenir un objet sexuel ou servir à satisfaire un besoin d'agression. Il reprend ainsi à son compte la formule de Plaute selon laquelle l'homme est un loup pour l'homme (Homo homini lupus) et qui est à la racine de l'anthropologie de Hobbes. L'histoire fourmille d'exemples où les forces morales reculant, l'homme se livre aux plus exécrables atrocités (un peu en amont du texte, il fait référence notamment à l'invasion des Huns ou à la Première Guerre mondiale), ce qui démontre que le processus de civilisation n'est pas forcément progressif, mais peut connaître à tout moment, des moments régressifs. Il se caractérise donc par une extrême fragilité.

lundi 30 avril 2018

"Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage"

Commentaire

Les Essais sont une oeuvre de Michel de Montaigne (1533-1592) composée de trois tomes, les deux premiers publiés en 1580 et le troisième en 1588. Sans ordre apparent, Montaigne traite de sujets divers "de bonne foi" comme il le rappelle à son lecteur dès le début de son ouvrage, et ce, de manière à dresser son portrait intellectuel, "sans contention ni artifice", portrait dont il affirme qu'il l'aurait peint "tout entier" et "tout nu" s'il avait été "entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de la nature".  

Or, c'est justement de ces nations dont il va être question dans l'extrait présenté ci-dessous, issu de l'essai intitulé "Des cannibales" (tome I, XXXI). Montaigne y évoque les peuplades du Nouveau Monde récemment découvert, notamment celles de la France antarctique, éphémère colonie française qui occupa la baie de Guanabara, à Rio de Janeiro, au Brésil, de 1555 à 1560. Présentant leurs coutumes, il montre que le cannibalisme de ces sociétés n'est peut être pas plus barbare que les exactions commises au nom de la religion en Europe par des hommes prétendument civilisés.

dimanche 29 avril 2018

"La culture, mot et concept, est d'origine romaine"

Commentaire

La crise de la culture est le titre français du recueil de six, puis de huit essais rassemblés et publiés par Hannah Arendt (1906-1975) sous le titre Between Past and Future (1961, puis 1968). Le thème commun de ces essais est celui du diagnostic d'une époque en crise avec d'un côté, une usure de la tradition, et de l'autre, un avenir incertain. Partant de la rupture moderne dans la tradition et du concept d'histoire, Arendt discute ensuite deux concepts politiques centraux que sont l'autorité et la liberté, puis analyse quatre problèmes d'actualité : la crise de l'éducation et de la culture, le rapport entre vérité et politique et la conquête de l'espace.

Le texte ci-dessous est extrait de l'essai "La crise de la culture : son sens politique et social". Arendt s'intéresse au concept de "culture de masse" (mass culture) et montre que dans les sociétés de masse, les objets culturels sont devenus des objets de loisir plutôt que des objets de culture. Dans la société de consommation, le temps de loisirs est consacré au divertissement et non plus au perfectionnement de soi-même. Alors que la culture dépassait initialement le cadre de la vie humaine, pour atteindre un temps plus pérenne, le loisir est une activité insatiable de consommation de biens éphémères sans arrêt renouvelés. L'enjeu est de montrer que le mot "culture" qu'on emploie aujourd'hui pour désigner la culture de masse est en réalité mal employé. 

mercredi 25 avril 2018

"Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie”

Commentaire

Race et Histoire (1952) est un texte de Claude Lévi-Strauss (1908-2009) publié à l'origine par l'UNESCO dans une collection de brochures intitulée Le racisme devant la science et destinée à lutter contre le préjugé raciste. Lévi-Strauss commence par contester la scientificité du concept de race établi par Gobineau selon lequel il existerait trois races fondamentales (blanche, noire, jaune) dont le métissage affaiblirait les aptitudes particulières de chacune. Au concept de race, Lévi-Strauss préfère celui de culture. Pour lui, la diversité culturelle est immense (et pour une grande part inconnaissable dans toute son étendue) et résulte davantage des interactions culturelles que de leur isolement (telle coutume apparaissant au sein d'un groupe en réponse à une autre du même genre dans une autre culture).

Le texte est issu de sa troisième partie (sur dix) intitulée "L'ethnocentrisme". L'ethnocentrisme est l'attitude qui consiste à privilégier le groupe ethnique auquel on appartient et à en faire l'unique modèle de référence. La conséquence est de conduire à juger les autres cultures différentes soit comme étant inférieures, soit comme n'étant pas de véritables cultures en ayant un rapport de proximité assez fort avec la nature (cf. ceux que l'on qualifie de "sauvages"). Dans cette attitude, Lévi-Strauss détecte une contradiction fondamentale : celle qui consiste finalement à reproduire soi-même ce que l'on reproche aux autres, à savoir se comporter en niant l'humanité d'autrui. L'enjeu est donc de pouvoir juger les autres cultures tout en ayant conscience de leur irréductibilité et de leur diversité. 

"La culture de ses facultés naturelles est un devoir de l'homme envers lui-même"

Commentaire

La Métaphysique des moeurs (1795) est un texte d'Emmanuel Kant où il détaille des exemples concrets qui illustrent la théorie exposée dans les Fondements de la métaphysique des moeurs parus dix plus tôt en 1785. La métaphysique des moeurs désigne, pour Kant, la science générale des devoirs, lesquels peuvent être traduits par des lois extérieures (les droits) ou non (la vertu). L'ouvrage se divise ainsi en deux parties : la "Doctrine du droit" et la "Doctrine de la vertu". Le fait de se cultiver relève de la contrainte intérieure que l'on peut exercer sur soi indépendamment de lois extérieures et constitue une vertu.

Le texte ci-dessous est extrait de la "Doctrine de la vertu". Dans cette partie de la Métaphysique des moeurs, Kant distingue les devoirs envers soi-même et les devoirs envers les autres, et parmi les devoirs envers soi-même, ceux qui sont parfaits (qui créent des devoirs d'obligation stricte, qui défendent d'agir contre notre nature, comme par exemple ne pas se suicider) et ceux qui sont imparfaits (qui créent des devoirs d'obligation large, qui nous ordonnent d'agir positivement, par exemple de se perfectionner). Le fait de se cultiver fait justement partie de ces devoirs imparfaits envers soi-même. 

dimanche 22 avril 2018

"La culture de l'âme, c'est la philosophie"

Commentaire


Les Tusculanes (45 av. J.-C) sont un dialogue, s'étendant sur cinq journées, composé de cinq livres et rédigé par le philosophe stoïcien Cicéron (106-43 av. J.C.). Il prend place dans la villa de Cicéron à Tusculum (ou Tusculane, ancienne cité qui se situait au sud est de Rome). Il rassemble deux interlocuteurs simplement identifié par les lettres M et D dans le texte latin, qui renvoient probablement au maître (Magister) et au disciple (Discipulus), ce que le traducteur a choisi de rendre par Cicéron (C) et l'auditeur (L'a). L'originalité principale de ce texte réside dans le fait qu'il est considéré comme le premier emploi métaphorique du terme "culture" : de même que l'on cultive la terre, on se cultive soi-même au moyen de la philosophie.

Dans le Livre I ("De la mort. Qu'elle est à mépriser"), Cicéron a défini la philosophie comme étant "l’étude même de la sagesse, et qui renferme toutes les connaissances, tous les préceptes nécessaires à l’homme pour bien vivre" (I, I). "Bien vivre", tel est donc l'objectif de la philosophie. Or, pour ce faire, il est primordial de ne pas craindre à la mort, crainte dont il faut apprendre à se défaire ainsi que l'enseigne la philosophie stoïcienne, en accord sur ce point avec la philosophie épicurienne. Ce thème est traité dans le Livre I. Le texte qui suit est tiré du début du livre II qui s'intéresse, plus particulièrement, à la question de la douleur dont il est possible de diminuer les troubles au moyen de la raison. 

samedi 14 avril 2018

Cours - La morale

Introduction

La morale peut renvoyer à l'ensemble des habitudes et des normes de conduite propres à une société, on parle alors de mœurs (morale vient du latin moralis qui est ce qui "relatif aux mœurs"). Mais la morale désigne surtout la connaissance du bien et du mal. Cette connaissance peut être d'ordre rationnel, elle constitue alors le point de départ d'un échafaudage théorique, à prétention universelle. Mais elle peut aussi être d'ordre sensible, chacun ressentant en lui le caractère juste ou injuste d'une situation. Dans les deux cas, la morale suppose la faculté proprement humaine de pouvoir mettre à distance ses passions au moyen de la raison. Sans cette capacité, il n'est aucune morale possible. Il serait absurde en effet de réfléchir sur ce qu'un homme aurait dû faire, s'il était incapable de faire autrement.

A la notion de morale est attachée celle de devoir, l'obligation de faire telle ou telle chose. Certaines théories morales visent ainsi à dire à l'homme comment agir et comment mener une vie bonne, c'est-à-dire à la fois droite et juste. Cette vie bonne est considérée comme un moyen de parvenir au bonheur, car au fond, ce que vise la morale, c'est de parvenir à la satisfaction d'avoir bien agi. Or il peut arriver que le devoir entre en conflit avec le bonheur, que ce que l'on doive faire s'oppose ce que l'on aimerait faire, ceci donnant lieu à des dilemmes moraux tels que ceux exposés par Corneille dans ses tragédies (le dilemme cornélien étant l'impossibilité pour le héros de choisir entre ce que lui commande son devoir et ce que lui dicte son amour, par exemple Rodrigue dans le Cid qui doit choisir de venger son père au risque de perdre l'amour de Chimène).

jeudi 12 avril 2018

"Les faibles et les ratés doivent périr"

Commentaire

L'Antéchrist (1895) est un ouvrage inachevé de Friedrich Nietzsche (1844-1900) qui se présente comme un essai de critique du christianisme. Contrairement à ce que pourrait laisser penser son titre, il vise moins le Christ lui-même que la doctrine morale associée à la religion chrétienne. Nietzsche considère cette morale - qu'il étend au-delà même du christianisme jusqu'à Socrate et au platonisme - comme foncièrement négatrice de la vie, valorisant la pitié ainsi qu'une vision du bien et du mal qui culpabilise la force au profit de la faiblesse. 

Le texte ci-dessous est extrait du § 2. Dans le premier paragraphe, Nietzsche constate que l'homme moderne est malheureux car il ne sait plus vers quel horizon se tourner. Or lui a découvert le bonheur ce qui lui a permis de sortir de cette modernité qui le rendait malade parce qu'elle défendait une paix avariée et une largeur de cœur qui pardonne tout en comprenant tout. Désormais, il se tient "le plus loin possible du bonheur des débiles", c'est-à-dire de "la résignation" car il sait vers quel but diriger son audace, sa "soif d'éclairs et d'exploits", la formule de son bonheur consistant justement à tracer un chemin en "ligne droite". Le § 2 s'inscrit dans le même style à la fois direct et provocateur. Il s'ouvre sur une série de questions et de réponses simples, qui sont suivies de trois affirmations sur ce que n'est pas le bonheur et s'achève sur deux énoncés portant sur le devoir et la vertu. 

"Nous appliquons le nom de sujets aux hommes en tant qu'ils sont obligés d'obéir aux institutions ou aux lois"

Commentaire

Le Traité de l'autorité politique (1670) est une oeuvre inachevée de théorie politique dans laquelle Baruch Spinoza (1632-1677) s'interroge sur le meilleur régime politique. Son objectif, ainsi que le sous-titre de l'ouvrage l'indique, est de décrire comment doit être organisée une société afin qu'elle ne dégénère pas en tyrannie, l'enjeu étant de faire en sorte que la paix et la liberté des citoyens soient préservées. Sa réponse est que le meilleur moyen de les garantir consiste à organiser le pouvoir de telle sorte qu'il empêche les abus, d'où sa préférence pour la démocratie, la souveraineté étant exercée par tous les citoyens.

Le texte ci-dessous est extrait du début du troisième chapitre. Après avoir précisé dans le premier chapitre qu'elle serait sa méthode, à savoir de considérer les hommes tels qu'ils sont et non tels qu'ils devraient être, Spinoza explique qu'on ne saurait faire de théorie politique sans prendre en considération les sentiments qui génèrent parfois des comportements irrationnels. Il faut donc que l'organisation du pouvoir soit pensée de manière à ce que ces comportements ne menacent pas la sécurité de l'Etat. Si les hommes prennent plus souvent pour guide le désir aveugle que la raison, comment donc garantir la sécurité ? C'est à ce moment là qu'intervient la nécessité d'établir un état de société. 

mercredi 11 avril 2018

Existe-t-il un droit au bonheur ?

Introduction

Nous avons aujourd'hui tendance à considérer légitime que le droit étende son emprise à des domaines de plus en plus nombreux dans notre société. Il serait l'assurance d'une meilleure protection des citoyens et offrirait des garanties nouvelles aux individus. Ce fut le cas par exemple, en 2007 en France, où fut créer un droit opposable au logement qui a conduit à obliger l'Etat de mettre à disposition des logements pour des ménages reconnus en grandes difficultés financières. Dans ces conditions, pourquoi ne pas faire d'une notion comme le bonheur la source d'un droit ? Existe-t-il un droit au bonheur ? 

Le droit relève de ce qui organise les rapports sociaux, garantit les libertés et punit, le cas échéant, les entorses qui lui sont faites. Le bonheur, quant à lui, peut se définir comme un état de joie et de plénitude. Un droit au bonheur consisterait donc à organiser les rapports sociaux de manière à ce qu'ils permettent à tous les individus de parvenir à cet état. Mais comment rédiger un tel droit ? S'il est possible de définir le bonheur par ce qu'il produit en nous, il est difficile de dire précisément en quoi il consiste et semble assez différent d'un homme à l'autre. Dans ces conditions, un droit au bonheur serait-il réellement souhaitable ? Si chacun a sa propre conception du bonheur, un droit qui s'en montrerait respectueux serait soit extrêmement flou, soit exclurait une partie des individus dont la conception serait différente de celle imposée par ce droit. Pour autant, les hommes s'assemblent dans le but de vivre plus heureux que s'ils restaient chacun dans leur coin. Le bonheur semble donc un objectif des pouvoirs publics, ce qui se traduit d'ailleurs par la présence de promesses dans les différentes professions de foi des candidats à une élection. L'enjeu est donc ici de se demander quel est le bon niveau d'intervention pour les pouvoirs publics, car trop d'interventionnisme pourrait faire peser un risque sur les libertés individuelles, alors qu'un défaut d'intervention signifierait que l'Etat ne se préoccupe pas du bonheur des citoyens, ce qui interroge la fin du politique.

dimanche 1 avril 2018

Peut-on démontrer la liberté ?

Introduction

On entend souvent dire que la liberté est la possibilité de faire ce que l'on veut. Dans ces conditions, il suffirait par exemple de dire que l'on peut lever le bras et de lever le bras effectivement, pour avoir démontré la liberté. La démonstration correspondrait alors à une démarche où l'on apporte la preuve que l'on peut faire quelque chose en la faisant effectivement, c'est-à-dire en démontrant que l'on peut être la cause initiale d'un mouvement. Mais a-t-on pour autant démontré que nous pouvions toujours faire ce que l'on voulait ? N'avons-nous pas plutôt démontré l'inverse, à savoir que nous ne pouvions ne pas lever le bras ? Peut-on alors démontrer la liberté ?

Répondre à cette question permettrait de déterminer si la liberté existe, si elle est réelle et pas seulement une impression liée au fait que nous avons le contrôle de nos mouvements. D'ailleurs, en première approche, la liberté semble à la fois plus large et plus évidente encore : nous choisissons ce que nous voulons être, le métier que nous voulons exercer, les activités que nous souhaitons pratiquer, les endroits où nous voulons voyager, etc. Mais, en même temps, il existe aussi des contraintes auxquelles nous ne pouvons pas échapper comme par exemple travailler, supporter sa belle-mère ou payer ses impôts. En ce sens, la liberté consisterait moins à faire ce que l'on veut que de ne pas être obligé de faire ce que l'on ne veut pas. La démonstration, quant à elle, renvoie à une série de propositions rigoureuses permettant d'établir avec certitude un résultat. Or, toute la difficulté est là car le verbe "pouvoir" nécessite ici de s'interroger sur la capacité de la raison humaine à prouver par une série de déductions rigoureuses que la liberté existe. L'enjeu est majeur parce que s'il n'est pas possible de démontrer la liberté, alors c'est que l'inverse, à savoir que la liberté n'existe pas, peut être suspecté. Est-il possible d'établir que l'existence de la liberté est une certitude ?

vendredi 30 mars 2018

"Le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi"

Commentaire

La Critique de la raison pratique (1788) est un ouvrage d'Emmanuel Kant (1724-1804) portant sur l'une des questions que pose le fondement de la morale, à savoir la manière dont la volonté peut avoir un intérêt à la loi morale indépendamment de tout mobile sensible. Kant montre en effet qu'une action ne peut être moralement bonne qu'à la condition que son principe puisse être universalisé. Or pour cela, il faut que ce principe ne contienne aucune contradiction : par exemple, il ne faut pas mentir car on ne peut vouloir que le mensonge devienne une loi universelle (car alors plus personne ne croit personne). Il appartient donc à la raison, et à la raison seule, de définir ce qui est moral au moyen de la forme universelle de la loi.

Le texte ci-dessous est extrait de la conclusion de l'ouvrage où Kant passe par un effet de balancier du ciel étoilé à la loi morale. Il s'agit pour lui de souligner le double horizon infini qui borde le sujet humain. La difficulté mise en lumière par la Critique de la raison pratique est de déterminer comment la volonté peut s'arracher au déterminisme du règne de la nature où toute chose se trouve irrémédiablement prise. Après avoir, dans la première partie, montré que la valeur morale d'une action reposait essentiellement dans l'intention qui l'animait ("Analytique", I, 1), puis résolu l'antinomie de la raison pratique entre bonheur et vertu ("Dialectique", I, 2), Kant s'interroge dans la seconde partie ("Méthode", II) sur le moyen de donner de l'influence aux lois de la raison pure pratique sur les maximes que se donnent l'esprit humain.

jeudi 29 mars 2018

"Ce qui connaît tout le reste, sans être soi-même connu, c'est le sujet"

Commentaire

Le Monde comme volonté et comme représentation (1818) part de l'idée que "le monde est ma représentation" (§ 1) : la réalité n'est qu'une représentation subjective du monde perçu par une conscience. Mais Arthur Schopenhauer (1788-1860) n'est pas pour autant relativiste : le monde des objets est accessible à la connaissance. Il s'inscrit dans le sillage de l'idéalisme qui fait des idées la réalité ultime et, plus précisément, de l'idéalisme kantien, qui affirme la possibilité de la connaissance à partir des structures fondamentales de représentation du sujet. 

Le texte ci-dessous est extrait du livre premier qui porte sur le monde en tant que représentation. Schopenhauer s'appuie sur les acquis de l'idéalisme transcendantal kantien. Rappelons en effet que, pour Kant, si nous ne pouvons pas connaître la chose en soi, nous pouvons néanmoins connaître quelles sont les conditions de possibilités des idées. Dans le paragraphe précédent, Schopenhauer envisage le monde en tant qu'il a la propriété d'être pensé : la seule donnée fondamentale étant ce que l'on perçoit. Il en tire comme conséquence que le monde n'existe que par rapport à un sujet et que ce sujet est le principe même de tout ce qui existe. 

mercredi 28 mars 2018

"Faire aux autres ce qu’on voudrait que les autres fassent pour vous, aimer son prochain comme soi-même, voilà les deux règles de perfection idéale de la morale utilitaire"

Commentaire

L'Utilitarisme (1863) est un ouvrage du philosophe britannique John Stuart Mill (1806-1873). L'utilitarisme est une doctrine philosophique initiée par Jérémy Bentham (1748-1832) qui fait de l'utilité le principal critère des valeurs morales. Si Bentham analyse le principe d'utilité par rapport à la quantité de plaisir, Mill complète ensuite cette doctrine en cherchant à mettre l'accent sur la qualité des plaisirs. Pour évaluer la qualité d'un plaisir, il se base sur les préférences individuelles : un plaisir est qualitativement supérieur à un autre si presque tous ceux qui l'ont mis en avant ont fait le même choix (Mill ajoute que la compétence de ceux qui font cette hiérarchie peut également être prise en compte). 

Le texte ci-dessous est extrait du chapitre II qui s'intitule "Ce que c'est que l'utilitarisme". Dans le premier chapitre, Mill fait remonter l'utilitarisme au Socrate du Protagoras, puis critique les tenants d'une morale intuitionniste qui défendent la thèse de l'existence de vérités morales indépendantes de  l'esprit et finit par s'en prendre à la philosophie de Kant - dont il reconnaît toutefois les mérites - en raison des conséquences de l'impératif catégorique selon lequel on ne doit agir que d'après les maximes qui peuvent être également adoptées comme loi par tous les êtres rationnels et qui conduisent à des règles contraires à la morale. Dans le chapitre II, il reprend les critiques traditionnellement adressées à l'utilitarisme comme celle qui fait de l'utilité la pierre de touche du bien et du mal ou encore celle qui reproche à l'utilitarisme de tout ramener au plaisir. 

mardi 27 mars 2018

"Conscience ! Conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix"

Commentaire

L'Emile ou De l'éducation (1762) est une œuvre de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) qui expose sa théorie éducative. Elle est composée de cinq livres : les quatre premiers correspondent chacun à un âge de la jeunesse et le dernier porte plus spécifiquement sur l'éducation féminine. De manière générale, Rousseau considère que l'éducation doit tout faire pour préserver la bonté initiale de l'enfant, d'où son concept d'éducation négative qui consiste surtout à le protéger de la mauvaise influence de la société et à laisser faire la nature. L'enfant doit apprendre par lui-même de ses erreurs et son précepteur éviter d'intervenir directement en lui donnant la leçon.

Le texte ci-dessous est extrait du livre IV et, plus précisément, d'une partie qui s'appelle "Profession de foi du vicaire savoyard". Une profession de foi est la déclaration publique d'une croyance. Le vicaire savoyard renseigne le précepteur d'Emile sur les véritables principes moraux et religieux, c'est-à-dire ceux de Rousseau. Sa conception est celle de la religion naturelle, chaque homme ayant naturellement en lui le sentiment intérieur du divin, il n'a pas besoin d'autre chose que lui-même pour connaître Dieu. Ainsi, Rousseau s'en prend à la fois aux religions révélées, auxquelles il reproche de s'interposer entre les hommes et Dieu, au matérialisme et à l'athéisme. Il affirme, par la même occasion, la prédominance du sentiment sur la raison en matière de morale. 

lundi 26 mars 2018

"Afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions, [...] je me formai une morale par provision"

Commentaire

Le Discours de la méthode (1637) est un texte de René Descartes (1596-1650) qui sert de Préface à trois essais de physique : la Dioptrique, les Météores et la Géométrie. L'époque de Descartes se caractérise par la domination intellectuelle de la scolastique, philosophie enseignée depuis le Moyen Age et qui cherche à accorder la théologie chrétienne avec la pensée d'Aristote. Insatisfait par cet enseignement de nature trop dogmatique, Descartes cherche un moyen de donner aux sciences un fondement nouveau à partir de la raison. Pour cela, il met au point une méthode inspirée des mathématiques et recourt au doute afin de parvenir à une première certitude rationnelle (l'énoncé du cogito : "je pense donc je suis") sur laquelle il peut désormais s'appuyer dans sa quête de la vérité.

Le texte ci-dessous est extrait du début du livre III et correspond à l'énoncé de la fameuse "morale par provision" que Descartes se donne afin de vivre commodément en attendant de pouvoir établir une morale définitive grâce au changement de méthode qu'il propose. Dans le livre II, Descartes a présenté son doute méthodique. Or ce doute ne peut concerner que les connaissances théoriques car, pour ce qui est des connaissances pratiques, il faut bien vivre et il est impossible de suspendre son jugement. C'est pour cette raison qu'il préconise la mise en place d'une morale "par provision", terme à entendre en deux sens : celui de provision qu'on emporte avec soit à l'occasion d'un voyage, et celui de provisoire, un jugement par provision étant un jugement préalable avant une sentence définitive.

samedi 24 mars 2018

"Une vie bien réglée vaut mieux qu'une vie désordonnée"

Commentaire

Le Gorgias (387 av. J.-C.) ou Sur la rhétorique, est un dialogue de Platon (428-348 av. J.-C.) qui met en scène Socrate et l'un des plus grands sophistes de l'époque antique, Gorgias. Le dialogue s'ouvre sur une confrontation de Socrate avec un personnage fictif : Calliclès. Ce dernier commence par condamner les lois humaines qui défendent les faibles aux détriments des plus forts. Il part d'une conception de la nature où c'est le droit du plus fort qui l'emporte. Selon lui, les faibles se sont unis pour dominer les forts - ceux qui sont naturellement faits pour commander - et ont imposé un ordre moral qui prône la maîtrise des plaisirs.

Le texte ci-dessous se situe au début du dialogue. Après avoir dénoncé la prise de pouvoir des faibles sur les forts, Calliclès avance que la vertu ne consiste pas à réfréner ses passions contrairement aux valeurs que promeut la morale des faibles, mais à assouvir tous ses désirs, quels qu'ils soient et par tous les moyens. Pour lui, les hommes qui parviennent à se contenter de ce qu'ils ont ne sont pas plus heureux que ceux qui se laissent guider par leurs passions car ne plus rien désirer, c'est être comme mort. Socrate prend au sérieux cet argument et rétorque que le corps (sôma) est précisément un tombeau (sèma), la vertu consistant justement dans le contrôle des passions au moyen de la raison, et ce afin d'éviter que l'âme ne ressemble à une passoire empêchant tout contrôle. La mort du corps est symbolique car il s'agit surtout d'éviter que les plaisirs sans freins dégénèrent en violence.

vendredi 23 mars 2018

"Nous n'avons aucune idée du moi"


Commentaire

Le Traité de la nature humaine (1740) est composé de trois livres portant respectivement sur l'entendement, les passions et la morale. Rédigé par David Hume (1711-1776), il constitue l'une des références de la philosophie empiriste, doctrine selon laquelle les connaissances de l'esprit proviennent de l'expérience seule. L'empirisme s'oppose au rationalisme qui prétend établir des connaissances à partir des analyses de la raison. Hume critique ainsi l'idée de sujet : elle est le résultat d'une abstraction de la raison, sans lien réel avec l'expérience. Le moi serait ainsi une invention de l'imagination. 

Le texte ci-dessous est extrait du livre I consacré à l'entendement. Après avoir discuté de l'origine des idées (partie I), notamment de celles de l'espace et du temps (partie II), et de la connaissance (partie III), Hume expose les raisons de son scepticisme (partie IV) à l'égard des principales déductions métaphysiques (partie IV) dont la question de l'identité personnelle (section VI). A chaque fois, Hume invoque le fait que nous imaginons une causalité là où il n'y a qu'habitude : c'est vrai pour l'immatérialité de l'âme (section V) mais aussi pour l'identité personnelle puisqu'aucune idée claire ne correspond à l'idée de sujet. 

jeudi 22 mars 2018

"C'est dans et par le langage que l'homme se constitue comme sujet"

Commentaire

Les Problèmes de linguistique générale (1966 et 1974) sont un recueil d'essais généraux du linguiste Emile Benvéniste (1902-1976) portant sur le langage et la communication. Cet ouvrage souligne l'importance de l'énonciation, acte par lequel un locuteur produit un énoncé, s'adressant à un destinataire, selon certaines circonstances. La linguistique est la science qui étudie le langage. L'apport de Benvéniste consiste à étendre cette étude non pas seulement à l'analyse des règles du langage, mais à prendre en compte la situation concrète de l'énonciation : qui parle et pour qui. 

Le texte ci-dessous se trouve au début d'un article intitulé "De la subjectivité dans le langage" (publié initialement en 1958). Avant d'établir que le sujet est constitué par le langage, Benvéniste invite à ne pas réduire le langage à un instrument de communication. Cette réduction conduit en effet à ne considérer qu'une partie du langage, le langage mis en action, lequel désigne en réalité ce qu'on appelle le discours. Autre conséquence : le langage instrument est rabattu du côté de la culture, de l'artifice, et donc est placé en opposition avec la nature. Or le langage est dans la nature de l'homme : c'est un homme parlant que le linguiste étudie et non un langage qui aurait été mis au point par l'homme arbitrairement (contrairement à la thèse de Saussure relative l'arbitraire du signe).  

"De la subjectivité dans le langage ?"

Emile Benvéniste
(1902-1976).
L'article d'Emile Benvéniste reproduit ci-dessous a été publié initialement dans le Journal de Psychologie en juillet-septembre 1958 aux éditions PUF. Il a ensuite été repris dans le recueil d'articles Problèmes de linguistique générale (1966) publié chez Gallimard (collection Tel, p. 258-266) et constitue son chapitre XXI : "De la subjectivité dans le langage".

lundi 12 mars 2018

Cours - Théorie et expérience

Introduction

Une théorie constitue un ensemble d'idées organisées entre elles proposant de rendre compte de la réalité ou d'une partie de celle-ci. Par exemple, la théorie du complot est une théorie qui procède d'une certaine vision de l'histoire selon laquelle un groupe occulte profiterait de son influence pour asseoir sa domination sur le monde. L'étymologie du terme théorie renvoie au grec theoria qui signifie "contemplation". Elle suggère que la théorisation est une activité essentiellement intellectuelle, une construction de la raison. En ce sens, la théorie s'opposerait à la pratique qui désignerait un rapport au réel beaucoup plus concret, une façon de faire plutôt qu'une manière de penser déconnectée de la réalité, voire délirante.

Ce qui est valorisé dans la pratique (entendue comme ce qui s'oppose à la théorie), c'est l'expérience : on dit alors que l'on a fait l'expérience de quelque chose ou qu'on a acquis de l'expérience. Cette expérience est souvent valorisée par rapport à une vision purement théorique. On oppose alors deux types de connaissance : une connaissance qui serait d'origine purement livresque, théorique, scolaire et une connaissance concrète des choses, fondée sur une longue expérience. Cette dimension de connaissance se retrouve dans l'étymologie du terme "expérience" qui en grec se dit empereia et qui a donné "empirisme", nom d'une doctrine philosophique selon laquelle toute connaissance provient de l'expérience. Plus généralement, est empirique, tout ce qui provient de l'expérience. Ainsi, on dira d'un procédé qu'il est empirique s'il en reste au niveau de l'expérience commune, sans atteindre une dimension rationnelle ou systématique. A ce stade, théorie et expérience semblent s'opposer.  

jeudi 8 mars 2018

"Un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience"


Commentaire

La logique de la découverte scientifique (1934) est un ouvrage du philosophe autrichien Karl Popper (1902-1994). Son objectif est de déterminer un critère de démarcation entre science et pseudo-science. Pour ce faire, il met au point le concept de falsifiabilité (ou de réfutabilité) selon lequel pour qu'une théorie soit scientifique, il faut et il suffit qu'elle soit réfutable par l'expérience. Ce critère vise à remplacer celui traditionnellement admis dans les sciences qui consiste à mettre l'accent sur la vérifiabilité d'une théorie, c'est-à-dire sa corroboration par l'expérience. 

Le texte ci-dessous est extrait du premier chapitre de l'ouvrage qui s'intitule "Examen de certains problèmes fondamentaux". Popper s'intéresse à la science en tant que logicien. Il montre notamment que les sciences empiriques, c'est-à-dire progressant au moyen de l'expérience, fonctionnent par induction : elles remontent d'énoncés particuliers jusqu'à des énoncés universels tels que des hypothèses ou des théories. Or cette remontée, comme l'a bien montré Hume, ne peut pas parvenir à un caractère de vérité absolue. Il est en effet impossible d'établir des énoncés qui soient absolument universels à partir seulement d'inférence de cas particuliers car il est toujours possible, en droit, qu'un cas invalide la théorie. En soulignant que les inférences inductives sont logiquement injustifiées, Popper pose la question de savoir si des lois naturelles peuvent être établies comme véridiques. 

mardi 6 mars 2018

"Les instruments ne sont que des théories matérialisées"

Commentaire

Le Nouvel esprit scientifique (1934) est un ouvrage de Gaston Bachelard (1884-1962) qui expose la nouvelle philosophie des sciences apparue au début du XXe siècle et que Bachelard nomme épistémologie non-cartésienne. Le nouvel esprit scientifique s'inscrit en rupture avec l'ancien esprit marqué par l'influence de la théorie cartésienne des natures simples. En effet, Descartes conçoit le réel comme connaissable à partir du moment où l'on est capable de réduire sa complexité apparente à des natures simples telles que la figure, l'étendue ou le mouvement (voir la Règle n° 12 des Règles pour la direction de l'esprit). Or, Bachelard montre que le réel n'est pas donné d'emblée, mais qu'il est le résultat d'une construction rationnelle. Le nouvel esprit scientifique s'attache plutôt à complexifier cette construction en s'intéressant au tissu de relations dans lequel se trouve le phénomène étudié, plutôt qu'à analyser ses éléments en allant du complexe au simple. 

Le texte ci-dessous est extrait de l'introduction de l'ouvrage. Elle s'intitule "La complexité essentielle de la philosophie scientifique". Bachelard a commencé par montrer qu'il existait deux attitudes philosophiques fondamentales : le rationalisme qui fait de la science une construction de la raison et le réalisme qui en fait un accès au phénomène tels qu'ils sont. Dans la science contemporaine, ces deux attitudes se retrouvent étroitement mêlées. Mais Bachelard décèle un vecteur particulier qui part du rationnel pour aller au réel, la science étant ainsi conçue comme la réalisation du rationnel. Cette réalisation du rationnel se produit dans les sciences physiques notamment via ce que Bachelard nomme "un réalisme technique", c'est-à-dire qu'il existe un lien étroit entre la théorie et le réel via l'appareillage dans les sciences. Les instruments du scientifique sont toujours le fruit d'une construction qui résulte du progrès des sciences, d'un approfondissement du réel par la raison au moyen de la technique. 

dimanche 4 mars 2018

"La raison [...] doit se présenter à la nature en tenant d'une main ses principes [...] et de l'autre les expériences"

Commentaire

La Critique de la raison pure (1781) est un ouvrage du philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) qui vise à réhabiliter la raison contre les attaques sceptiques qui montrent que nous ne pouvons atteindre que les phénomènes, les choses telles qu'elles nous apparaissent, et jamais la réalité en tant que telle, indépendamment de nous. Contrairement à Descartes qui cherche à vaincre le scepticisme en établissant un système métaphysique élaboré sur la certitude absolue du cogito, Kant institue un tribunal de la raison afin de déterminer quelles sont ses prétentions légitimes de connaître. La critique est ce qui doit permettre d'établir le périmètre à l'intérieur duquel la raison peut obtenir des connaissances indubitables et au-delà duquel elle ne peut aboutir qu'à des connaissances illusoires (cf. les Idées de la raison que sont l'âme, Dieu ou la liberté).

Le texte ci-dessous est extrait de la "Seconde préface" rédigée à l'occasion de la réédition de la Critique de la raison pure en 1787. Dans celle-ci, Kant commence par analyser le changement de méthode qui a conduit à ce que la mathématique entre dans la voie sûre de la science. S'il n'est pas possible de faire l'histoire de cette révolution à cause des temps reculés où elle s'est produite, Kant estime que c'est à Thalès qu'il faut attribuer le changement de méthode qui consiste à ne plus partir de la figure telle qu'on la voit, mais à lui imposer un raisonnement purement rationnel et a priori, c'est-à-dire partir d'un concept tel que celui de triangle isocèle, pour en connaître les principales caractéristiques, a priori, simplement en examinant au moyen de la raison toutes les propriétés qui découlent nécessairement de lui. Il en vient ensuite à s'intéresser à la manière dont la physique est devenue une science.

La "Seconde Préface" à la Critique de la Raison pure de Kant (Fiche de lecture)

Le but que Kant se fixe dans la Critique de la raison pure est de déterminer si la Métaphysique, discipline qui étudie ce qui dépasse (méta) la physique, peut-être appréhendée en tant que science, c’est-à-dire en s’inspirant des caractéristiques des autres sciences, telles que la Logique, la Mathématique et la Physique. Ces dernières procèdent à partir d’une connaissance a priori qui permet l'observation de la nature au moyen de l'expérience. Cette expérience est orientée par une théorie qui rend possible son interprétation.

Or, la Métaphysique ne travaille qu’à partir de concepts et ne peut se prévaloir d’aucune confrontation directe avec la réalité. Pourtant, il semble nécessaire qu'elle connaisse comme les autres sciences, sa révolution copernicienne, c'est-à-dire qu'elle abandonne son ancienne prétention de parvenir à une connaissance des choses en soi, inaccessibles par l'expérience, pour devenir un savoir sur les conditions de possibilité du fonctionnement même de la raison, un traité de la méthode du raisonnement et donc une critique de la raison procédant indépendamment de l'expérience, c'est-à-dire de la raison pure. 

[N.B. : Cette fiche de lecture a été réalisée à partir du texte de la "Seconde Préface" de la Critique de la raison pure paru en 2001 aux éditions PUF Quadrige et traduit par A. Tremesaygues et B. Pacaud. La pagination à laquelle renvoient les citations fait référence à cet ouvrage.]

samedi 3 mars 2018

"Rien n'est dans l'intelligence qui n'ait auparavant été dans les sens, si ce n'est l'intelligence elle-même"

Commentaire 

Les Nouveaux Essais sur l'entendement humain (1765) sont une œuvre de Leibniz (1646-1716) qui se veut une réponse critique, livre par livre, chapitre par chapitre, aux Essais sur l'entendement humain de Locke. Les Nouveaux Essais sont composés de quatre livres dont les titres sont similaires aux Essais de Locke : "Des notions innées", "Des idées", "Des mots" et "De la connaissance". A la différence toutefois de l'ouvrage de Locke, Leibniz opte pour la forme du dialogue. Il met en scène deux personnages : Philalèthe, qui expose la pensée de Locke, et Théophile, qui défend la pensée de Leibniz. Comme Locke, Leibniz reconnaît le rôle de l'expérience dans la formation de la connaissance, il réfute cependant sa position empiriste selon laquelle toutes les idées viendraient uniquement des sens.  

Le texte ci-dessous est extrait du livre II portant sur les idées et, plus précisément, de son premier chapitre. C'est Théophile qui parle. Dans le livre I consacré aux idées innées, Leibniz considère que nous avons en nous, virtuellement, un certain nombre d'idées et de vérités. Virtuellement, c'est-à-dire que ces idées innées sont en puissance dans l'âme et qu'elles sont activées à mesure de nos expériences. A cela, il faut ajouter que l'âme est, selon Leibniz, un principe immatériel qui fonde la vie et l'unité du vivant. Chaque vivant dispose d'une âme, mais l'homme possède une âme raisonnable qui le rend capable de connaître le réel et d'atteindre la vérité. Ainsi, Leibniz s'inscrit à la fois dans le sillage de Platon qui, dans le Ménon, démontre que les individus ont en eux des notions innées de géométrie et d'arithmétique, et d'Aristote, qui fait de l'âme le principe de vie du corps organique. 

mercredi 21 février 2018

"L'expérience : c'est là le fondement de toutes nos connaissances"


Commentaire

L'Essai philosophique concernant l'entendement humain (1690) a été rédigé par le philosophe anglais John Locke (1632-1704). Cet ouvrage, composé de quatre livres, vise à établir quelle est l'origine des idées et des connaissances humaines. Pour Locke, qui est un philosophe empiriste, tout le savoir humain découle de l'expérience et de l'expérience seule. A la naissance, l'âme d'un enfant est complètement vide. Locke s'oppose ainsi aux rationalistes tels que Descartes qui considèrent que notre connaissance vient d'une capacité de la raison à saisir certaines idées indépendamment de toute expérience. 

Le texte ci-dessous est extrait du livre II consacré aux idées et, plus précisément, de son premier chapitre qui s'intéresse à leur origine. Dans le livre I ("Des notions innées"), Locke s'en prend notamment à la théorie cartésienne des idées innées. Dans les Méditations métaphysiques (III), Descartes distingue trois sortes d'idées : les idées adventices (venues du dehors), les idées factices (liées à l'imagination) et les idées innées (mises en nous par Dieu, par exemple, les idées mathématiques). Pour contrer l'innéisme cartésien, Locke évoque l'absence de telles idées chez les enfants et chez les idiots. S'il n'existe pas d'idées innées, d'où viennent les idées que nous formons ?

"Notre plus grande ressource [...] est l'étroite alliance de ces deux facultés : l'expérimentale et la rationnelle"


Commentaire

Le Novum Organum ou Nouvelle Logique (1620) est un ouvrage du philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626). A l'origine, il prend place dans un système plus ambitieux mais inachevé qui se nomme Instauratio Magna (La Grande Restauration des sciences) et dont l'objet est de constituer une somme de connaissances tout en assurant la promotion d'une nouvelle méthode dans la découverte de savoirs. Francis Bacon cherche en effet à rompre avec une partie de la tradition aristotélicienne et à remettre l'expérience au centre des préoccupations des scientifiques.

Le texte ci-dessous est extrait du premier livre du Novum Organum et constitue l'aphorisme n° 95. Francis Bacon constate qu'à la différence des arts mécaniques qui se perfectionnent, la philosophie semble stagner, les auteurs se recopiant les uns les autres sans innover dans leur démarche. Pour cette raison, il préconise une nouvelle méthode qui consiste non plus à séparer, mais à unir la méthode empirique (c'est-à-dire celle qui fait procéder les connaissances de l'expérience) et la méthode rationnelle (celle qui tire les connaissances de l'intellect). L'objectif est de permettre de nouveaux progrès dans la recherche scientifique.

mardi 20 février 2018

Cours - L'interprétation

Introduction

Le terme d'interprétation vient du latin interpretatio qui peut signifier "compréhension" ou "traduction". Interpréter, cela consiste à rendre clair ce qui ne l'était pas au premier abord, à révéler un sens qui était dissimulé. Ainsi, un interprète apparaît comme un médiateur ou un traducteur : il aide son auditoire à comprendre une œuvre en fournissant un ensemble d'informations permettant, par exemple, de mieux appréhender sa situation historique, le courant auquel elle se rattache, etc. En ce sens, l'interprétation aurait pour objectif de tendre vers l'objectivité, d'expliquer l'œuvre dans sa vérité, unique et absolue. 

Cependant, nous avons toujours tendance à relativiser la notion d'interprétation, comme si elle était, par essence, multiple. On dit par exemple : "ce n'est qu'une interprétation" ou encore "il y a plusieurs interprétations possibles". En effet, lorsque nous cherchons à comprendre les événements de notre vie, nous leur donnons du sens, mais ce sens nous est propre, subjectif, correspondant à notre vision du monde. Il y aurait donc deux acceptions possibles de l'interprétation : une première portant sur l'activité de l'interprète qui proposerait, au moyen de connaissances, de redonner son sens à une œuvre, et une seconde, renvoyant à notre interprétation du monde, forcément plurielle et marquée par notre subjectivité.

lundi 12 février 2018

"Comprendre un texte, c’est tou­jours se l’appliquer à soi-même"

Commentaire

Vérité et Méthode (1960) est un ouvrage de Hans Georg Gadamer (1900-2002) dont le sous-titre est Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique. Gadamer propose en effet une herméneutique - art d'interpréter les textes - qui n'est pas une méthode parmi d'autres, mais qui, en amont, se rattache à toute tentative de compréhension, que celle-ci soit scientifique, artistique ou philosophique. Il existe donc un domaine de la vérité qui excède celle définie par la méthode, cet ensemble de règles qui vise justement à découvrir la vérité, c'est ce que Gadamer nomme l'expérience de vérité que nous faisons dans l'art, dans les sciences de l'esprit - et plus précisément l'histoire - et dans le langage. Dans ces trois domaines qui correspondent aux trois parties du livre, la vérité ne correspond pas à la définition qu'en donnent les sciences naturelles, elle échappe donc en partie à la méthode. 

Le texte ci-dessous est extrait de la troisième et dernière partie de l'ouvrage intitulée "Tournant ontologique pris par l'herméneutique sous la conduite du langage". Gadamer estime que notre accès à l'être ne peut passer que par le langage, ce qui signifie que comprendre revient à traduire le réel en langage. Cette idée fondamentale implique qu'il n'existe pas de compréhension indépendamment d'un langage. Cela a pour conséquence également que notre accès à l'être dépend de notre époque, nous sommes pris dans l'histoire laquelle détermine, comme le fait notre langage, notre compréhension du réel. L'herméneutique n'est donc pas qu'une méthode pour découvrir la vérité, mais elle devient, sous la plume de Gadamer, la condition de possibilité de toute compréhension du monde, laquelle caractérise notre être dans ce qu'il a de plus essentiel : nous sommes en tant qu'humain des êtres comprenants.

samedi 13 janvier 2018

"L’interprétation se trouve devant l’obligation de s’interpréter elle-même à l’infini"

Commentaire

"Nietzsche, Freud, Marx" constitue le texte d'une table ronde du colloque de Royaumont qui s'est tenu en 1967. Selon Foucault, ces trois auteurs n'ont pas seulement permis de donner de nouveaux cadres d'interprétation grâce à leur pensée, ils ont aussi contribué à changer la nature du signe et la manière dont celui-ci était interprété. Son ambition est de permettre de dégager les traits caractéristiques du régime d'interprétation dans lequel on se situe. Il note d'ailleurs, au début de son intervention, que chaque forme culturelle dans la civilisation occidentale a eu ses techniques propre d'interprétation. 


Le texte ci-dessous constitue l'énoncé du quatrième et dernier postulat de l'herméneutique moderne selon Foucault : l'interprétation se trouve toujours devant l'obligation de s'interpréter elle-même à l'infini. Il a d'abord commencé par souligner le renversement que réalisent Nietzsche, Freud et Marx par rapport à l'idée de profondeur : elle serait finalement qu'une idée superficielle qu'il faudrait, par conséquent, étaler. Il ajoute qu'à partir de ces trois hommes, la tâche de l'interprétation est devenue infinie : il en voit la preuve dans le fait qu'ils partagent un même refus du commencement. Enfin, le troisième principe est qu'il n'y a rien d'absolument premier à interpréter car, au fond, tout est déjà interprétation, chaque signe étant déjà une interprétation d'autres signes. 

jeudi 11 janvier 2018

"J'entends par compréhension la capacité de reprendre en soi-même le travail de structuration du texte"

Commentaire

Du texte à l'action. Essais d'herméneutique II (1986) est un recueil d'articles écrits dans les années 70 à 80 que l'on doit au philosophe Paul Ricœur (1913-2005). Comme son sous-titre l'indique, il y est principalement question d'herméneutique qui est l'art d'interpréter les textes. Ricœur reprend la vieille polémique entre explication et compréhension pour en proposer une lecture plus dialectique, c'est-à-dire faisant appel à l'une et à l'autre. Avec le succès du structuralisme en sciences humaines, méthode qui consiste à se concentrer sur les structures de l'objet étudié et donc à mettre de côté la dimension subjective du texte (écrit par un auteur, lu par un lecteur), celles-ci se sont éloignées d'une certaine philosophie, celle dont Ricœur se veut l'héritier et qui se place en filiation avec la phénoménologie de Husserl, mais aussi d'autres penseurs tels que Gadamer, Schleiermacher et Heidegger.

Le texte ci-dessous est extrait d'un article qui se trouve au début du recueil et qui a pour titre "De l'interprétation". Ricœur vient d'expliquer qu'il assigne à l'herméneutique la tâche de reconstruire ce qu'il appelle le "double travail du texte", à savoir d'une part, sa dynamique interne et, d'autre part, sa projection externe. La dynamique interne est ce qui préside à la structuration d'une œuvre. La projection externe est la capacité de cette œuvre à se projeter hors d’elle-même pour engendrer un monde qui soit la "chose" du texte. Or c'est dans le cadre de la reconstruction de la dynamique interne du texte que Ricœur souhaite réconcilier, après les avoir redéfinies, compréhension et explication. Son objectif, in fine, est de permettre un nouveau dialogue entre sciences humaines et philosophie de l'interprétation. 

mercredi 10 janvier 2018

"La nature, nous l'expliquons ; la vie de l'âme, nous la comprenons"

Commentaire


Le Monde de l'Esprit (1926) ou, en allemand, Die geistige Welt est un recueil de différents essais que l'on doit à Wilhelm Dilthey (1833-1911). Tous ces essais sont consacrés au fondement de ce qu'il appelle les "sciences de l'esprit" qui correspondent aujourd'hui aux sciences humaines telles que la sociologie, la psychologie, l'histoire ou encore la géographie. Dilthey est à l'origine de la distinction entre sciences humaines et sciences naturelles. Alors que les sciences humaines sont fondées sur une méthode compréhensive, les sciences naturelles reposent sur une méthode explicative. Il s'oppose en cela à Auguste Comte qui considère qu'il existe une continuité de méthode entre la connaissance de l'homme et celle de la nature.

Le texte ci-dessous est extrait de l'essai qui s'intitule "Idées concernant une psychologie descriptive et analytique". Dilthey s'interroge sur la possibilité de mettre en place une psychologie qu'il appelle "descriptive et analytique" au sens où celle-ci procéderait différemment de la psychologie explicative de son époque qui, à la manière des sciences de la nature, fonde l'intelligence de la vie psychique sur une série d'hypothèses. Or cette méthode est inapte pour penser la psychologie humaine car celle-ci est prise dans une culture. C'est pourquoi, la psychologie en laquelle il croie affirme, au contraire, la prééminence du tout de la vie psychique sur les hypothèses qui sont ensuite posées par le chercheur. Ce tout de la vie psychique fonctionne comme une donnée primitive et fondamentale qu'il est impossible d'écarter. 

mardi 9 janvier 2018

"Le rêve est un rébus"

Commentaire

L'interprétation du rêve (1900) est un livre de Sigmund Freud (1856-1939) portant sur l'analyse des rêves. Il fait partie des ouvrages fondateurs de la psychanalyse. Freud observe que les rêves restent bien souvent incompréhensibles si on en reste à leur description consciente. Il affirme cependant qu'il est possible de les comprendre à condition d'appliquer la bonne clé interprétative : comme les rêves sont la réalisation déguisée d'un désir, le sujet ne s'en souvient que vaguement. Il faut donc, par une activité analytique, décrypter les symboles dont ils sont porteurs afin de parvenir à leur explicitation et à leur compréhension.

Le texte ci-dessous est tiré du début de la VIe partie de l'ouvrage et s'intitule "Le travail du rêve". Dans la IVe partie, Freud a déjà distingué le contenu latent et le contenu manifeste du rêve : le premier constitue toujours la satisfaction d'un souhait alors que le second est retravaillé par l'inconscient psychique pour ne plus en avoir l'aspect. Tout l'enjeu de l'interprétation est donc de restituer le souhait refoulé, présent sous le rêve manifeste, en le considérant comme une sorte de "palimpseste", c'est-à-dire comme un manuscrit qui aurait été effacé pour être recouvert d'un second texte. L'inconscient opère ainsi une censure qui dissimule à la conscience les éléments sensés du rêve. 

lundi 8 janvier 2018

"Le monde nous est bien plutôt devenu, une fois encore, "infini""

Commentaire

Le Gai Savoir (paru en 1882 mais dont la Préface et la Ve partie datent de 1887) est un ouvrage de Friedrich Nietzsche (1844-1900). Nietzsche dresse le constat du dogmatisme des sciences, c'est-à-dire le besoin de fixer un sens dans des formules définitives. Or il estime que le savoir est essentiellement artistique, c'est-à-dire inventivité, créativité et donc pluralité de sens. Plus généralement, il appelle à la transmutation de toutes les anciennes valeurs que sont, par exemple, la vérité, le bien, le beau, la justice, la vertu, l'être, etc.,  toutes ces valeurs correspondant aux idéaux du christianisme et qui plongent leurs racines dans le platonisme. Il annonce ainsi symboliquement la mort de Dieu (cf. § 125 et § 343) et espère en l'émergence d'un "surhomme" capable de poser des valeurs nouvelles. 

Le texte ci-dessous est extrait de la Ve partie de l'ouvrage intitulée "Nous sans peur" et constitue, plus précisément, son paragraphe 374. Dans le paragraphe précédent (§ 373 - ""Science" comme préjugé"), Nietzsche critique l'interprétation scientifique du monde qu'il considère comme "l'une des plus stupides" au sens où, réduisant tout le réel à des formules et à des calculs, elle s'empêcherait d'en saisir toute la richesse de significations. Une appréciation purement scientifique de la musique serait absurde dans la mesure où elle serait impuissante à rendre compte pleinement de celle-ci. Ainsi, un monde réduit à une interprétation mécaniste, analysant seulement les causes et les effets, serait "un monde essentiellement dénué de sens" conclut Nietzsche. Face à cela, il désire montrer que tout est fondamentalement interprétation.

samedi 6 janvier 2018

"Pour interpréter l'Écriture, il est nécessaire d'en acquérir une exacte connaissance historique"

Commentaire

Le Traité théologico-politique (1670) est un ouvrage du philosophe néerlandais d'origine portugaise Baruch Spinoza (1632-1677). En le publiant, Spinoza cherche à émanciper la raison de la tutelle théologique et, par conséquent, à permettre à chacun de pouvoir lire et comprendre les textes religieux. Il se fait le défenseur d'une théologie rationnelle, c'est-à-dire d'une exégèse biblique prenant appui sur la connaissance historique et sur la réflexion au moyen des lumières naturelles, dont l'objectif principal est la détermination de l'enseignement éthique qui s'y trouve. 

Le texte ci-dessous est tiré du chapitre VII qui a pour titre : "De l'interprétation de l'Ecriture". Spinoza commence par reconnaître la valeur intrinsèque de l'Ecriture sainte en tant que parole de Dieu et enseignement de la voie menant au salut, c'est-à-dire à la vraie béatitude. Cependant, il s'empresse de constater que certains hommes ont tendance à remplacer cette parole par leurs propres inventions et à obliger les autres à penser comme eux. En ce sens, l'interprétation des textes religieux a un enjeu politique : certains individus cherchent à obtenir du pouvoir sur d'autres en instrumentant la religion à des fins personnelles. Spinoza propose justement une méthode pour se libérer de l'emprise de ces interprètes plus soucieux de l'obéissance de leurs ouailles que du contenu réel des textes sacrés.