Commentaire
La logique de la découverte scientifique (1934) est un ouvrage du philosophe autrichien Karl Popper (1902-1994). Son objectif est de déterminer un critère de démarcation entre science et pseudo-science. Pour ce faire, il met au point le concept de falsifiabilité (ou de réfutabilité) selon lequel pour qu'une théorie soit scientifique, il faut et il suffit qu'elle soit réfutable par l'expérience. Ce critère vise à remplacer celui traditionnellement admis dans les sciences qui consiste à mettre l'accent sur la vérifiabilité d'une théorie, c'est-à-dire sa corroboration par l'expérience.
Le texte ci-dessous est extrait du premier chapitre de l'ouvrage qui s'intitule "Examen de certains problèmes fondamentaux". Popper s'intéresse à la science en tant que logicien. Il montre notamment que les sciences empiriques, c'est-à-dire progressant au moyen de l'expérience, fonctionnent par induction : elles remontent d'énoncés particuliers jusqu'à des énoncés universels tels que des hypothèses ou des théories. Or cette remontée, comme l'a bien montré Hume, ne peut pas parvenir à un caractère de vérité absolue. Il est en effet impossible d'établir des énoncés qui soient absolument universels à partir seulement d'inférence de cas particuliers car il est toujours possible, en droit, qu'un cas invalide la théorie. En soulignant que les inférences inductives sont logiquement injustifiées, Popper pose la question de savoir si des lois naturelles peuvent être établies comme véridiques.
La logique inductive est un genre de raisonnement qui consiste à partir de l'observation de plusieurs faits pour ensuite, les inclure dans une théorie. Comment cette logique fonctionne-t-elle en science ? Popper explique que le critère traditionnel de vérité de l'induction est la suivante : "l'on doit pouvoir décider de manière définitive de la vérité ou de la fausseté de tous les énoncés de la science empirique". Cela signifie que la forme de l'induction doit permettre d'établir si l'énoncé est vrai ou s'il est faux une fois pour toute. Or si l'on constate, par exemple, à de nombreuses reprises que les cygnes sont blancs, qu'il n'existe manifestement pas de cygnes d'une autre couleur, a-t-on le droit, pour autant, d'en conclure, une fois pour toute, que tous les cygnes sont blancs ? D'un grand nombre d'observations, en vertu du principe d'induction, il suffit que l'on puisse vérifier qu'il n'existe que des cygnes blancs pour dire qu'il s'agit bien d'un énoncé scientifique.
Pour Popper, en revanche, ce type d'énoncé inductif, que l'on trouve dans la plupart des sciences (sauf en mathématique qui procède par déduction) constitue une erreur logique : il n'est pas possible d'élaborer des théories rigoureusement vraies en partant de la constatation de plusieurs cas, même s'ils sont en grand nombre. Ce n'est pas parce qu'on a observé uniquement des cygnes blancs que l'on peut en conclure que tous les cygnes sont blancs. Il suffit, par exemple, d'observer un seul cygne noir pour que cet énoncé empirique devienne faux (et de fait, on a découvert en Australie, une variété de cygnes noirs). Pour cette raison, Popper conclut que "les théories ne sont donc jamais vérifiables empiriquement". Cela signifie qu'il est impossible, lorsqu'on procède par une généralisation inductive, de conclure de manière absolue et définitive à la vérité d'un énoncé. Il y aura toujours un doute. C'est pourquoi, dans les sciences naturelles, l'énoncé scientifique ne sera jamais qu'une conjecture, donc une assertion que l'on ne peut pas démontrer de manière absolue.
Le problème est qu'en se montrant aussi rigoureux, on risque de rendre non scientifique la plupart des résultats pourtant considérés comme vrais, notamment en science naturelle où l'échafaudage théorique ne peut être élaboré qu'à partir d'une série d'expériences et d'observations. Dans ce contexte, il apparaît donc pertinent de changer le critère de démarcation permettant de dire si un énoncé est ou non scientifique. Pour Popper, ce n'est pas le caractère vrai ou faux qu'il s'agit d'apprécier dans un énoncé inductif, mais la possibilité de la falsifier : "c'est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d'un système, qu'il faut prendre comme critère de démarcation". Il faut donc distinguer la vérifiabilité d'un système qui consiste à pouvoir décider si celui-ci est absolument vrai et la falsifiabilité (ou réfutabilité) qui désigne la possibilité de démontrer qu'un système est faux.
Pour Popper, il ne s'agit pas de dire qu'un système doit donc être absolument vrai pour être conçu comme positif, c'est-à-dire comme appartenant au discours scientifique. En revanche, sa forme logique doit permettre de démontrer, en passant par l'expérience, qu'il peut être faux : "un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience". Les tests pour décider si une théorie est scientifique doivent porter non pas sur leur vérité démontrée par l'expérience, mais sur la possibilité de prouver qu'elles ne sont pas fausses. Par exemple, l'énoncé "tous les cygnes sont blancs", de la même manière que l'énoncé "il pleuvra demain", sont tous les deux susceptibles d'être invalidés par l'expérience. Il s'agit donc d'énoncés scientifiques.
En revanche, un énoncé qui affirme une chose et son contraire tel que "il pleuvra et il ne pleuvra pas ici demain" est invérifiable et donc non scientifique de par sa structure logique. Quelles sciences sont donc principalement susceptibles de ne pas remplir cette condition de réfutabilité ? Popper cite en exemple la psychanalyse. La psychanalyse est bien une théorie élaborée par Freud à partir de l'observation de plusieurs cas et qui prétend pouvoir expliquer de nombreux phénomènes inconscients. Le problème est que, comme elle travaille précisément sur des phénomènes inconscients, il est possible de trouver de nombreuses interprétations possibles de ces phénomènes, ceux-ci échappant par définition à la vérification puisqu'ils ne sont pas conscients. Il est donc, en droit, impossible de réfuter Freud. Or si l'irréfutabilité dans l'ancien système pouvait apparaître comme un critère renforçant la scientificité de la théorie, dans l'optique poppérienne, celle-ci devient un défaut majeur. Ainsi, comme la psychanalyse est irréfutable empiriquement, il est impossible de la considérer comme une science.
En revanche, un énoncé qui affirme une chose et son contraire tel que "il pleuvra et il ne pleuvra pas ici demain" est invérifiable et donc non scientifique de par sa structure logique. Quelles sciences sont donc principalement susceptibles de ne pas remplir cette condition de réfutabilité ? Popper cite en exemple la psychanalyse. La psychanalyse est bien une théorie élaborée par Freud à partir de l'observation de plusieurs cas et qui prétend pouvoir expliquer de nombreux phénomènes inconscients. Le problème est que, comme elle travaille précisément sur des phénomènes inconscients, il est possible de trouver de nombreuses interprétations possibles de ces phénomènes, ceux-ci échappant par définition à la vérification puisqu'ils ne sont pas conscients. Il est donc, en droit, impossible de réfuter Freud. Or si l'irréfutabilité dans l'ancien système pouvait apparaître comme un critère renforçant la scientificité de la théorie, dans l'optique poppérienne, celle-ci devient un défaut majeur. Ainsi, comme la psychanalyse est irréfutable empiriquement, il est impossible de la considérer comme une science.
Texte
"Le critère de démarcation inhérent à la logique inductive revient à la condition suivante : l'on doit pouvoir décider de manière définitive de la vérité et de la fausseté de tous les énoncés de la science empirique (ou encore tous les énoncés "pourvus de sens") ; nous dirons qu'il doit être "possible de décider de leur vérité ou de leur fausseté de manière concluante". Ceci signifie que leur forme doit être telle qu'il soit logiquement possible tant de les vérifier que de les falsifier.
Or dans ma conception, il n'y a rien qui ressemble à de l'induction. Aussi, pour nous, est-il logiquement inadmissible d'inférer des théories à partir d'énoncés singuliers "vérifiés par l'expérience" (quoi que cela puisse vouloir dire). Les théories ne sont donc jamais vérifiables empiriquement.
Or dans ma conception, il n'y a rien qui ressemble à de l'induction. Aussi, pour nous, est-il logiquement inadmissible d'inférer des théories à partir d'énoncés singuliers "vérifiés par l'expérience" (quoi que cela puisse vouloir dire). Les théories ne sont donc jamais vérifiables empiriquement.
Si nous désirons éviter l'erreur positiviste qui consiste à exclure, en vertu de notre critère de démarcation, les systèmes théoriques de la science naturelle nous devons choisir un critère qui nous permette d'admettre également dans le domaine de la science empirique des énoncés qui ne peuvent pas être vérifiés.
Toutefois, j'admettrai certainement qu'un système n'est empirique ou scientifique que s'il est susceptible d'être soumis à des tests expérimentaux. Ces considérations suggèrent que c'est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d'un système, qu'il faut prendre comme critère de démarcation.
En d'autres termes, je n'exigerai pas d'un système scientifique qu'il puisse être choisi, une fois pour toutes, dans une acception positive mais j'exigerai que sa forme logique soit telle qu'il puisse être distingué, au moyen de tests empiriques, dans une acceptation négative : un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience. (Ainsi l'énoncé "il pleuvra ou il ne pleuvra pas ici demain" ne sera-t-il pas considéré comme empirique pour la simple raison qu'il ne peut être réfuté, alors que l'énoncé "il pleuvra ici demain" sera considéré comme empirique.)"
Toutefois, j'admettrai certainement qu'un système n'est empirique ou scientifique que s'il est susceptible d'être soumis à des tests expérimentaux. Ces considérations suggèrent que c'est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d'un système, qu'il faut prendre comme critère de démarcation.
En d'autres termes, je n'exigerai pas d'un système scientifique qu'il puisse être choisi, une fois pour toutes, dans une acception positive mais j'exigerai que sa forme logique soit telle qu'il puisse être distingué, au moyen de tests empiriques, dans une acceptation négative : un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience. (Ainsi l'énoncé "il pleuvra ou il ne pleuvra pas ici demain" ne sera-t-il pas considéré comme empirique pour la simple raison qu'il ne peut être réfuté, alors que l'énoncé "il pleuvra ici demain" sera considéré comme empirique.)"
Karl Popper, La Logique de la découverte scientifique, Chapitre 1 : "Examen de certains problèmes fondamentaux, trad. N. Thyssen-Rutten et P. Devaux, éd. Payot, 1978, p. 36-37.
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