dimanche 2 juin 2013

"Cogito ergo sum"

Le Penseur (1902),
Rodin.
C'est au philosophe René Descartes que l'on doit cette célèbre expression. "Je pense, donc je suis" ou en latin, langue des érudits au XVIIe siècle, "cogito ergo sum", est davantage qu'une simple déduction, c'est aussi et surtout une révolution dans l'histoire de la philosophie. Elle sert non seulement à Descartes de premier principe à sa méthode de recherche de la vérité, mais elle place aussi pour la première fois le sujet au centre des préoccupations : le sujet devient le point de départ de l'enquête philosophique et le principe de toute vérité.

Pour comprendre le sens du cogito, il faut repartir de la démarche cartésienne elle-même. L'ambition de Descartes est, en effet, de s'assurer que ce qu'il tient pour vrai l'est effectivement. Dans son Discours de la méthode (1637), il va donc partir du doute : "Je me résolus de feindre que toutes les choses qui m'étaient jamais entrées dans l'esprit n'étaient non plus vraies que les illusions de mes songes". Ce doute est radical, mais il a une fonction précise : permettre de trouver un socle assuré pour pouvoir établir des connaissances. En ce sens, il se distingue du doute sceptique, du doute qui n'a pour fin que le doute lui-même. Le doute cartésien a pour fin la découverte de la vérité, c'est pourquoi il est aussi qualifié de doute méthodique ou de doute hyperbolique, c'est-à-dire poussé jusqu'à un certain point.

Ce point, c'est le cogito lui-même. Si l'on résume l'esprit de la démarche cartésienne exposée plus en détails dans les Méditations métaphysiques (1641) : pendant que je doute, je ne puis pas douter que j'existe, donc il faut nécessairement que j'existe pour pouvoir douter. Voici la première vérité dont on peut partir pour construire nos connaissances. Dans ce texte, Descartes va même plus loin que dans son Discours de la méthode, puisqu'il imagine l'existence d'un "malin génie"qui pourrait faire que les vérités mathématiques soient trompeuses. 

A partir du cogito, Descartes va pouvoir ensuite progresser dans la connaissance en suivant scrupuleusement les règles de la méthode qu'il établit dans son Discours
  • ce qui est vrai doit apparaître clairement et distinctement ;
  • les problèmes complexes doivent être ramenées à des éléments simples ;
  • les éléments simples doivent ensuite permettre de retrouver le problème complexe ;
  • cette procédure doit faire l'objet d'une vérification. 

En résumé, le cogito, "je pense, donc je suis", va servir de socle à la fondation des sciences. Une fois acquise la certitude du cogito, le sujet cartésien va pouvoir être certain de leur véracité. Le cogito est un moment philosophique essentiel, qui suit le doute radical et vient garantir la certitude de la réalité. Il répond ainsi à la question posée par Montaigne dans ses Essais : "que sais-je ?" S'il demeure un point de départ solide, tout reste encore à construire...

samedi 1 juin 2013

"Connais-toi toi-même"

Le Faux Miroir (1928),
Magritte.
"Connais-toi toi-même" est une phrase que Platon reprend à son maître Socrate. Mais ce dernier n'en est pas le véritable auteur : à l'origine, il s'agit d'une inscription du temple de Delphes. C'est une phrase classique de la philosophie, qui peut d'ailleurs aussi en être une définition, en tout cas pour Socrate. La dialectique, cette entreprise de connaissance reposant sur le dialogue de l'âme avec elle-même, se trouve toute entière exprimée dans cette exigence de se connaître par soi-même. 

La connaissance de soi par soi-même nécessite une introspection, c'est-à-dire de porter un regard (latin : specto) à l'intérieur de soi (intra). Ce regard consiste en réalité en un dialogue avec soi-même, ce qu'on appelle plus communément la réflexion : l'idée que notre conscience se pense elle-même, qu'elle se représente ses idées intérieurement et qu'elle les discute, les compare, les critique. 

Cette phrase prend ici la forme d'un commandement : il s'agit bien d'un devoir, comme s'il fallait, à tout homme qui se veut être véritablement homme, entreprendre de se connaître. Seulement, cette connaissance de soi se distingue du sens que nous lui donnons aujourd'hui, influencés que nous sommes par l'analyse psychanalytique. Ce n'est pas l'individu qu'il faut connaître, mais bien ce qui fait de nous un homme en tant qu'homme. C'est cette quête qui va distinguer l'homme de l'animal : la conscience, en tant que capacité de mettre les choses à distance, de les penser,  est ce qui permet à l'homme d'agir, non pas seulement avec passion, mais aussi et surtout en raisonnant, et par la même occasion, d'agir en être libre contrairement à l'animal qui agit d'abord par instinct.

L'entreprise philosophique initiée par Socrate n'est rien d'autre qu'une quête de soi : se connaître soi-même pour être véritablement homme. Mais il ne s'agit pas pour autant de mettre de côté les passions : l'âme, selon l'image célèbre qu'en donne Platon dans le Phèdre, peut être symbolisé par un char tiré par deux chevaux, l'un est bon et obéissant, l'autre rétif et rebelle, d'où l'enjeu pour le conducteur - c'est-à-dire la raison - de diriger son attelage en prenant soin de ménager ses deux montures.  

Dans une autre oeuvre, Alcibiade, Platon explique par l'intermédiaire de Socrate que la connaissance de soi ressemble à cette image de l'oeil qui ne se voit pas voir, et qui a besoin d'un miroir - de la réflexion - pour se voir voir. Ainsi, la pensée doit être cultivée pour elle-même car elle est ce qu'il y a de divin en l'homme, vision de la vision et principe du principe.