Dans les Pensées (1670), Blaise Pascal (1623-1662) écrit que l'homme est à la fois grand et misérable, c'est-à-dire digne d'admiration et pourtant faible et malheureux. Cette affirmation paradoxale permet de distinguer l'homme des autres êtres car "un arbre ne se connaît pas misérable" (Pensées, fragment 347, édition Brunschwicg). Ainsi, c'est dans la connaissance de sa petitesse que réside particulièrement la grandeur de l'homme.
Pour mieux se faire comprendre, Pascal recourt à une image : "l'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant" (Pensées, fragment 348, édition Brunschwicg). L'image du roseau renvoie à la faiblesse de l'homme. On pense notamment à la fable de La Fontaine : "Le Chêne et le Roseau". Dans cette fable, le Chêne arrogant et prétentieux méprise le Roseau et le plaint de sa fragilité et de sa sensibilité extrême aux vents. Mais le Roseau s'empresse de le mettre en garde, sa compassion est inutile : "je plie, mais ne romps pas". Et en effet, ce que nous apprend la morale de la fable, c'est que le vent du Nord déracine le Chêne et ne laisse derrière lui que le Roseau.
Comme le Roseau de la fable, l'homme peut être tué par un rien, "une vapeur d'eau". Mais la différence fondamentale qu'il existe entre l'homme et les autres êtres réside dans la conscience spécifique qu'il a des choses : "quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien". Cette conscience là, place l'homme au-dessus même de l'univers.
C'est que la conscience que l'homme a de lui, ce savoir qu'il a de sa condition mortelle est le signe de l'activité de la conscience, de "la pensée". Pour Pascal, cette pensée est ce qui fait la dignité de l'homme, c'est-à-dire ce pourquoi il mérite un respect particulier par rapport aux autres êtres. Ainsi, plus l'homme pense et plus il augmente en dignité.
Mais il ne s'agit pas d'oublier pour autant sa condition première d'homme misérable, c'est pourquoi il importe non pas seulement de penser, mais de "bien penser". Autrement dit, il ne s'agit pas de remplir notre conscience avec de fausses préoccupations (chercher à remplir l'espace et la durée, puisqu'une telle activité n'aurait pas de fin).
Si l'homme est "un roseau pensant", cela signifie qu'il est homme surtout lorsqu'il fait usage de la pensée. Mais il ne doit pas oublier non plus qu'il n'est qu'un "roseau". En ce sens, il est un milieu entre le très petit (le point) et le très grand (l'univers). Par la pensée, l'homme s'élève au-delà de la nature : de toutes les choses vivantes sur terre, il est le seul à pouvoir se ressaisir lui-même par la conscience qu'il a de sa petitesse.
Ainsi la conscience inverse l'ordre des valeurs : l'homme, parce qu'il est un être pensant, dispose d'une grandeur paradoxale qui naît de la compréhension de sa propre faiblesse. Cette grandeur n'est pas liée à l'espace qu'il occupe, l'homme n'est qu'"un point" rapporté à "l'immensité de l'univers", mais la pensée va lui permettre de comprendre l'univers. C'est là ce qui est stupéfiant : l'homme si misérable créature a, par la conscience, la capacité de se réapproprier les choses sur le plan de la pensée.
Texte
Fragment 347
"La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. C’est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable."
Fragment 348
"L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.
Roseau pensant. — Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai pas davantage en possédant des terres : par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends."
- Pascal, Pensées (1670), édition L. Brunschwicg, fragments 347 et 348.
Très juste le commentaire. merci
RépondreSupprimerL'homme est un roseau certes pensant qui se plie mais ne se rompt pas (dicton berbère)
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