lundi 11 avril 2016

"L'interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient"

Commentaire

L'interprétation du rêve (1900) ou Traumdeutung en allemand est l'un des plus importants ouvrages de Freud (1856-1939). Il s'agit de la première publication d'un livre de psychanalyse. Freud réalise dans cet ouvrage son auto-analyse à partir de ses rêves. Par ce geste, il universalise sa théorie : l'inconscient ne doit pas être un sujet de préoccupation pour les seuls malades, mais il concerne le fonctionnement psychique de tout individu. 

Après avoir étudié la littérature scientifique portant sur le rêve (chapitre I), Freud développe sa théorie générale du rêve (chapitre II à V) : il décrit sa méthode d'interprétation et affirme que le rêve consiste à accomplir le désir. Dans les deux derniers chapitres (VI et VII), Freud expose les processus propre à l'inconscient et propose sa première topique, une répartition du psychisme en trois pôles : inconscient, préconscient et conscient (il développe en 1920 une seconde topique complémentaire : moi, ça et surmoi).

Le texte ci-dessous est extrait du chapitre VII. C'est dans ce chapitre qu'il formule sa première topique. Selon Freud, "le rêve n'est pas un phénomène pathologique", c'est-à-dire qu'il ne fonctionne pas à partir d'un déséquilibre psychique. Mais il affirme toutefois qu'il existe des processus agissant dans la formation du rêve qui présentent des analogies avec la formation d'un symptôme hystérique qu'il a par ailleurs beaucoup étudié. 

Il importe pour lui de montrer que "le rêve nous montre l'un des chemins qui mènent à la connaissance de la structure" de l'inconscient. La névrose que Freud étudie est un trouble psychique qui vient s'emparer de la vie psychique, mais pas seulement : elle réside déjà dans l'édifice normal de l'appareil psychique, elle est donc présente chez tout individu. L'interprétation du rêve a donc pour objectif de dépasser les limites existant entre psychologie normale et psychologie pathologique. En étudiant le rêve, phénomène qui concerne tout individu, Freud cherche à montrer la pertinence de sa conception de l'inconscient : c'est la connaissance du psychisme humain qui est en jeu. 

Le rêve agit selon Freud comme un révélateur : "le rêve nous démontre que ce qui est réprimé continue d'exister y compris chez l'homme normal". La vie nocturne est l'occasion pour ce qui est censuré par la conscience de se révéler, "de s'imposer de force à la conscience". A l'époque, le rêve était perçu comme un phénomène organique lié au relâchement de la raison. Mais pour Freud, il s'exprime à travers lui toute une série d'éléments que la conscience refuse de prendre en compte.

L'absurdité des rêves n'est qu'apparente, Freud distingue le contenu manifeste, ce que l'on rêve, et le contenu latent, la clé qui permet de rendre compte du rêve et qui renvoie à la compréhension de notre inconscient. Ainsi pour comprendre le langage du rêve, il faut se donner une méthode d'interprétation et comme il le résume à la fin du texte par une célèbre formule : "l'interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l'inconscient dans la vie psychique". 

Texte

"Quelle que soit la façon dont l’interprétation de la censure psychique, de l’élaboration correcte et de l’élaboration anormale du contenu onirique peut se modifier, il demeure acquis que ces processus sont agissants dans la formation du rêve et que pour l’essentiel ils exhibent les plus grandes analogies avec les processus identifiés dans la formation de symptôme hystérique. Cela étant, le rêve n’est pas un phénomène pathologique ; il n’a pas pour condition préalable un trouble de l’équilibre psychique ; il ne se traduit pas après coup par un affaiblissement de l’aptitude à produire une prestation. Quant à l’objection qui m’est faite, que mes propres rêves et ceux de mes patients névrosés ne permettent pas de conclusions concernant ceux des gens bien portants, on peut sans doute l’écarter sans lui accorder d’attention. 

Si donc nous déduisons des phénomènes les force motrices qui sont les leurs, nous reconnaissons que le mécanisme psychique dont se sert la névrose n’est pas seulement créé par un trouble maladif qui viendrait s’emparer de la vie psychique, mais réside déjà tout prêt dans l’édifice normal de l’appareil psychique. Les deux systèmes psychiques, la censure qui fait point de passage entre eux, l’inhibition et le recouvrement de l’une des activités par l’autre, les relations de l’une et l’autre à la conscience – ou ce qu’on voudra bien qu’une interprétation plus juste de la réalité objective fournisse à leur place –, tout cela appartient à la construction normale de notre instrument psychique, et le rêve nous montre l’un des chemins qui mènent à la connaissance de sa structure

Si nous voulons nous contenter d’un minimum d’accroissement garanti de nos connaissances, nous dirons que le rêve nous démontre que ce qui est réprimé continue d’exister y compris chez l’homme normal et demeure susceptible de prestations psychiques. Le rêve est lui-même l’une des expressions de cette instance réprimée. D’après la théorie, il l’est dans tous les cas, d’après l’expérience palpable il l’est à tout le moins dans un grand nombre de cas qui exhibent précisément au mieux les caractères remarquables de la vie onirique. Ce qui est psychiquement réprimé, et qui dans l’existence vigile est empêché de s’exprimer et coupé de la perception interne par la liquidation antagonique des contradictions, trouve dans la vie nocturne et sous la domination des formations de compromis les moyens et les voies lui permettant de s’imposer de force à la conscience.

Flectere si nequeo Superos, Acheronta movebo, "Si je ne parviens pas à fléchir ceux d’en-haut, je ferai bouger le peuple de l’Achéron" (Virgile, Énéide, chant VII, v. 312). [Citation placée également en exergue au début de l’ouvrage.]

Mais l’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique."

- Sigmund Freud, L'interprétation du rêve, "VII. Sur la psychologie des processus oniriques", "E. Processus primaire et processus secondaire", trad. J.-P. Lefebvre, Seuil, 2013, p. 612-613 (référence à la pagination de l'édition allemande Gesammelte Werke publiée par le Fischer Taschenbuch Verlag).

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