Le Charmide (ou De la sagesse) est un dialogue de Platon appartenant à la catégorie des dialogues de jeunesse (écrits entre -399 et -390 avant J.-C.). A cette époque, Platon s'efforce de reproduire la pensée de son maître Socrate. Dans Charmide, il le montre discutant avec Critias à la recherche d'une définition de la sagesse. Après avoir écarté plusieurs définition, Socrate en vient à examiner une nouvelle proposée par Critias : la sagesse consiste à se connaître soi-même.
"Connais-toi toi-même" est une devise qui est inscrite sur le fronton du temple d'Apollon à Delphes. On la retrouve mentionnée dans plusieurs dialogues de Platon (Philèbe, Protagoras, Premier Alcibiade et Phèdre). Elle est formulée à la manière d'un commandement : on enjoint le visiteur du temple à se connaître par lui-même. Pour Critias, cette phrase est une invitation à la sagesse, même si son expression reste énigmatique, faite "à la manière des devins" (Apollon était le dieu grec des prophéties). Il se fait ainsi le porte-parole d'une croyance répandue chez les Grecs consistant à dire que la sagesse passe par la connaissance de soi.
Ainsi comprise, la sagesse est un savoir, une science. Mais elle n'est pas une science comme les autres qui aurait un objet bien précis. Il affirme que la sagesse est à la fois la science d’elle-même et des autres sciences. De ce point de vue, la sagesse consiste "à savoir ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas". Socrate ajoute que, dans ce cas, si elle est science de la science, elle est aussi "la science de l'ignorance".
Il faut rappeler que Socrate a toujours affirmé ne savoir qu'une seule chose : "je sais que je ne sais rien" (Apologie de Socrate, 21d et Ménon, 80d 1-3). Lorsqu'il reprend la définition de Critias, on a le sentiment qu'il identifie la connaissance de soi-même avec la capacité de discerner le vrai du faux, à la fois dans ses propres conceptions et dans celles des autres. Or c'est exactement ce que fait Socrate lorsqu'il part interroger les Athéniens pour vérifier qu'ils connaissent véritablement ce qu'ils font profession d'enseigner.
Dans le texte ci-dessous, Socrate fait donc un pas de plus que Critias qui identifie la sagesse et la connaissance de soi. Pour Socrate, en effet, la sagesse et la connaissance de soi consistent aussi "à savoir ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas", donc à parvenir à faire la différence entre savoir et ignorance. Elle n'est donc plus seulement une invitation à la modération, à se connaître homme, c'est-à-dire à se rappeler qu'on est seulement un homme, mais elle s'inscrit dans une démarche visant à distinguer le vrai du faux. On entrevoit ici la fameuse dialectique, entreprise de connaissance reposant sur le dialogue de l'âme avec elle-même, en vue de découvrir la vérité.
Texte
"CRITIAS - J'aurais même presque envie de dire que se connaître soi-même, c'est cela la sagesse, et je suis d'accord avec l'auteur de l'inscription de Delphes. [...] Voilà en quels termes, différents de ceux des hommes, le dieu s'adresse à ceux qui entrent dans son temple si je comprends bien l'intention de l'auteur de l'inscription. A chaque visiteur, il ne dit rien d'autre, en vérité, que : "Sois sage !" Certes, il s'exprime en termes un peu énigmatiques, en sa qualité de devin. Donc, selon l'inscription et selon moi, "connais-toi toi-même" et "sois sage", c'est la même chose ! [...]
SOCRATE - Dis-moi donc ce que tu penses de la sagesse.
CRITIAS - Je pense que seule entre toutes les sciences, la sagesse est science d'elle-même et des autres sciences.
SOCRATE - Donc elle sera aussi la science de l'ignorance, si elle l'est de la science ?
CRITIAS - Assurément.
SOCRATE - En ce cas, le sage seul se connaîtra lui-même et sera capable de discerner ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas ; et de même pour les autres, il aura le pouvoir d'examiner ce que chacun sait et a conscience à juste titre de savoir, mais aussi ce qu'il croit à tort savoir. De cela, aucun autre homme n'est capable. Finalement, être sage, de même que la connaissance de soi-même consistent à savoir ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas."
- Platon, Charmide ou De la sagesse, 164d-167a, trad. E. Chambry, Garnier-Flammarion.
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