samedi 9 avril 2016

"Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais"

Commentaire

Les Confessions d'Augustin d'Hippone (354-430) ont été écrites entre  397 et 401 : il s'agit d'une oeuvre autobiographique composée de treize livres, dont les neuf premiers sont consacrés au récit allant de l'enfance à la conversion au christianisme et les quatre derniers s'offrent comme des réflexions plus philosophiques sur les problèmes de la vie tels que l'amour, la volonté, la culpabilité, etc. 

Le livre XI porte sur les problèmes de la création, de l'éternité et du temps. Dans le chapitre XII, Augustin s'interroge sur l'occupation de Dieu avant la création du monde. Il répond qu'il ne faisait rien et pour une raison simple : le temps n'existait pas encore. Au chapitre XIII, il précise que Dieu est hors du temps et que le temps a été créé avec le reste de la création. L'être éternel de Dieu est opposé à l'être temporel de l'homme, ce qui fait du temps une question proprement humaine. 

Mais alors "qu'est-ce donc que le temps" demande-t-il au chapitre XIV ? La démarche utilisée par Augustin pour répondre est originale puisqu'il se place au niveau de l'expérience humaine, de la subjectivité. Avant lui, les philosophes Platon, Aristote, mais aussi les Stoïciens, envisageaient le temps d'un point de vue seulement objectif. 

En outre, dans l'Antiquité grecque, la représentation du temps est cyclique, il revient sur lui-même (cf. le retour des saisons), alors que dans la chrétienté, cette représentation est linéaire, d'où l'écriture possible d'une autobiographie, la vie étant orientée selon une succession d'étapes marquant une sorte de progression (par exemple pour Augustin, cette progression se fait vers Dieu : l'enfance, la conversion, etc.). 

Augustin observe que la réflexion sur le temps est paradoxale au sens où rien ne paraît plus évident que le temps : c'est une notion qui nous est familière puisque nous utilisons couramment cette notion, que nous nous comprenons lorsque nous en parlons et, pourtant, lorsqu'on nous demande de le définir, nous sommes incapables d'en donner une définition. Ainsi, malgré son évidence apparente, le temps comme concept nous échappe et demeure un mystère. 

Il reste que quelque chose passe et donc que le temps doit bien être quelque chose. Augustin découpe le temps en ses trois dimensions : le passé, le présent et le futur. Il l'analyse donc du point de vue de son mouvement perpétuel, mais il constate que sa saisie est impossible : "le passé n'est plus", "l'avenir n'est pas encore" et "le présent" pour ne pas être confondu avec l'éternité doit justement en permanence "rejoindre le passé". Le temps est donc ce qui passe, ce qui "tend à n'être plus". 

Texte

"Qu'est-ce en effet que le temps ? Qui serait capable de l'expliquer facilement et brièvement ? Qui peut le concevoir, même en pensée, assez nettement pour exprimer par des mots l'idée qu'il s'en fait ? Est-il, cependant notion plus familière et plus connue dont nous usons en parlant ? Quand nous en parlons, nous comprenons sans doute ce que nous disons ; nous comprenons aussi, si nous entendons un autre en parler.

Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus. Pourtant, je le déclare hardiment, je sais que si rien ne passait, il n'y aurait pas de temps passé ; que si rien n'arrivait, il n'y aurait pas de temps à venir ; que si rien n'était, il n'y aurait pas de temps présent.

Comment donc, ces deux temps, le passé et l'avenir, sont-ils, puisque le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quant au présent, s'il était toujours présent, s'il n'allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l'éternité. Donc, si le présent, pour être du temps, doit rejoindre le passé, comment pouvons nous déclarer qu'il est aussi, lui qui ne peut être qu'en cessant d'être ? Si bien que ce qui nous autorise affirmer que le temps est, c'est qu'il tend à n'être plus."

- Saint Augustin, Les Confessions, Tome II, Livre XI, chapitre XIV, trad. J. Trabucco, Garnier-Flammarion, 1964, p. 195.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire