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dimanche 29 avril 2018

"La culture, mot et concept, est d'origine romaine"

Commentaire

La crise de la culture est le titre français du recueil de six, puis de huit essais rassemblés et publiés par Hannah Arendt (1906-1975) sous le titre Between Past and Future (1961, puis 1968). Le thème commun de ces essais est celui du diagnostic d'une époque en crise avec d'un côté, une usure de la tradition, et de l'autre, un avenir incertain. Partant de la rupture moderne dans la tradition et du concept d'histoire, Arendt discute ensuite deux concepts politiques centraux que sont l'autorité et la liberté, puis analyse quatre problèmes d'actualité : la crise de l'éducation et de la culture, le rapport entre vérité et politique et la conquête de l'espace.

Le texte ci-dessous est extrait de l'essai "La crise de la culture : son sens politique et social". Arendt s'intéresse au concept de "culture de masse" (mass culture) et montre que dans les sociétés de masse, les objets culturels sont devenus des objets de loisir plutôt que des objets de culture. Dans la société de consommation, le temps de loisirs est consacré au divertissement et non plus au perfectionnement de soi-même. Alors que la culture dépassait initialement le cadre de la vie humaine, pour atteindre un temps plus pérenne, le loisir est une activité insatiable de consommation de biens éphémères sans arrêt renouvelés. L'enjeu est de montrer que le mot "culture" qu'on emploie aujourd'hui pour désigner la culture de masse est en réalité mal employé. 

dimanche 22 avril 2018

"La culture de l'âme, c'est la philosophie"

Commentaire


Les Tusculanes (45 av. J.-C) sont un dialogue, s'étendant sur cinq journées, composé de cinq livres et rédigé par le philosophe stoïcien Cicéron (106-43 av. J.C.). Il prend place dans la villa de Cicéron à Tusculum (ou Tusculane, ancienne cité qui se situait au sud est de Rome). Il rassemble deux interlocuteurs simplement identifié par les lettres M et D dans le texte latin, qui renvoient probablement au maître (Magister) et au disciple (Discipulus), ce que le traducteur a choisi de rendre par Cicéron (C) et l'auditeur (L'a). L'originalité principale de ce texte réside dans le fait qu'il est considéré comme le premier emploi métaphorique du terme "culture" : de même que l'on cultive la terre, on se cultive soi-même au moyen de la philosophie.

Dans le Livre I ("De la mort. Qu'elle est à mépriser"), Cicéron a défini la philosophie comme étant "l’étude même de la sagesse, et qui renferme toutes les connaissances, tous les préceptes nécessaires à l’homme pour bien vivre" (I, I). "Bien vivre", tel est donc l'objectif de la philosophie. Or, pour ce faire, il est primordial de ne pas craindre à la mort, crainte dont il faut apprendre à se défaire ainsi que l'enseigne la philosophie stoïcienne, en accord sur ce point avec la philosophie épicurienne. Ce thème est traité dans le Livre I. Le texte qui suit est tiré du début du livre II qui s'intéresse, plus particulièrement, à la question de la douleur dont il est possible de diminuer les troubles au moyen de la raison. 

mercredi 13 avril 2016

"L'inconscient est une méprise sur le Moi, c'est une idolâtrie du corps"

Commentaire

Les Eléments de philosophie (1916) ont été écrits par le philosophe Emile Chartier (1868-1951), plus connu sous le nom d'Alain, pendant la guerre de 14. Ils constituent une série de textes visant à clarifier certains problèmes de philosophie. Ils se composent de trois livres traitant respectivement de la connaissance par les sens, de l'expérience méthodique et de la connaissance discursive. 

L'extrait ci-dessous reproduit l'intégralité de la "Note sur l'inconscient" qui se trouve au chapitre XVI consacré au mécanisme (Livre II). Il est l'occasion pour Alain de revenir sur "cet abrégé du mécanisme" qu'est l'inconscient. Le mécanisme est, selon Alain, la doctrine d'après laquelle tous les changements dans l'univers sont des mouvements. Il critique toutefois la tendance à la simplification de la doctrine, notamment chez les disciples. Il faut toujours garder à l'esprit que rien dans les apparences n'impose l'hypothèse du mouvement et donc maintenir une certaine rigueur dans les analyses. 

lundi 4 avril 2016

"La religion est l'opium du peuple"

Commentaire

Ce texte se trouve au début de la Contribution à la critique de la Philosophie du droit de Hegel (1844). Karl Marx (1818-1883) reprend la thèse de Feuerbach qui voit en la religion une aliénation de l'homme, mais il fait un pas de plus en montrant que la religion est d'abord et avant tout un produit social, elle n'est donc que le fond d'une aliénation plus significative, celle qui est politique, économique et sociale. 

Marx part de l'analyse de Feuerbach qui dans l'Essence du christianisme (1841) réalise une critique de la religion chrétienne et établit que la religion est faite par les hommes. Mais il lui reproche d'avoir placé l'homme en dehors de la réalité, car pour Marx, l'homme doit être vu primordialement dans sa dimension sociale : "l'homme, c'est le monde de l'homme", c'est-à-dire "l'Etat, la société". Ce sont l'Etat et la société qui produisent la religion, non pas l'homme en tant qu'abstraction. 

lundi 28 mars 2016

"Représente-toi des hommes dans une caverne"

Commentaire

Dans La République, un des premiers grands dialogues de la maturité, Platon élabore sa théorie des idées : les idées abstraites existent réellement et forment le modèle des choses sensibles qui ne sont que les ombres des formes idéales. C'est au Livre VII que l'on trouve le célèbre texte commenté ici de l'allégorie de la caverne. Cette théorie des idées sert d'arrière-fond théorique à ce récit initiatique de la libération d'un prisonnier auquel on fait comprendre que la réalité est ailleurs. 

Une allégorie est une histoire courte qui expose des éléments concrets de manière cohérente, mais où chaque élément dispose d'un rapport imagé avec un contenu de nature différente. Dans cette allégorie, Platon expose le cheminement initiatique de la connaissance philosophique : la dialectique, art de discuter pour chercher la vérité, est un moyen de s'élever du monde des apparences pour atteindre la connaissance intellectuelle. Il montre aussi que l'éducation est un processus délicat, nécessitant un certain temps, d'où la nécessité de réformer la politique au sein de la cité en fonction de cette donnée.

jeudi 17 mars 2016

"Tant que j'en serai capable, soyez sûrs que je ne cesserai de philosopher"

Commentaire


Dans l’Apologie de Socrate, Platon imagine Socrate s’exprimant au moment de son procès. Ce dernier a, en effet, été condamné à mort en 399 av. J.-C. pour trois motifs : ne pas respecter les dieux de la cité, introduire de nouveaux dieux et corrompre la jeunesse. Tout en s'inspirant de faits réels, Platon cherche à montrer que son maître a rempli auprès des Athéniens une noble mission : les exhorter à se préoccuper du souci de leur âme et de la vérité. 

Dans l’extrait ci-dessous, Socrate explique à ses juges qu’il n’a pas l’intention d’arrêter de philosopher quel qu’en soit le prix, y compris celle de sa condamnation à mort. Anytos, en effet, est le personnage qui traduit Socrate en jugement. Riche athénien, il est parvenu à gagner la confiance du peuple et dirige la démocratie d'alors. Pour faire condamner Socrate, il s’associe à deux autres individus : l’orateur Lycon et le poète Mélétos.

samedi 1 juin 2013

"Connais-toi toi-même"

Le Faux Miroir (1928),
Magritte.
"Connais-toi toi-même" est une phrase que Platon reprend à son maître Socrate. Mais ce dernier n'en est pas le véritable auteur : à l'origine, il s'agit d'une inscription du temple de Delphes. C'est une phrase classique de la philosophie, qui peut d'ailleurs aussi en être une définition, en tout cas pour Socrate. La dialectique, cette entreprise de connaissance reposant sur le dialogue de l'âme avec elle-même, se trouve toute entière exprimée dans cette exigence de se connaître par soi-même. 

La connaissance de soi par soi-même nécessite une introspection, c'est-à-dire de porter un regard (latin : specto) à l'intérieur de soi (intra). Ce regard consiste en réalité en un dialogue avec soi-même, ce qu'on appelle plus communément la réflexion : l'idée que notre conscience se pense elle-même, qu'elle se représente ses idées intérieurement et qu'elle les discute, les compare, les critique. 

Cette phrase prend ici la forme d'un commandement : il s'agit bien d'un devoir, comme s'il fallait, à tout homme qui se veut être véritablement homme, entreprendre de se connaître. Seulement, cette connaissance de soi se distingue du sens que nous lui donnons aujourd'hui, influencés que nous sommes par l'analyse psychanalytique. Ce n'est pas l'individu qu'il faut connaître, mais bien ce qui fait de nous un homme en tant qu'homme. C'est cette quête qui va distinguer l'homme de l'animal : la conscience, en tant que capacité de mettre les choses à distance, de les penser,  est ce qui permet à l'homme d'agir, non pas seulement avec passion, mais aussi et surtout en raisonnant, et par la même occasion, d'agir en être libre contrairement à l'animal qui agit d'abord par instinct.

L'entreprise philosophique initiée par Socrate n'est rien d'autre qu'une quête de soi : se connaître soi-même pour être véritablement homme. Mais il ne s'agit pas pour autant de mettre de côté les passions : l'âme, selon l'image célèbre qu'en donne Platon dans le Phèdre, peut être symbolisé par un char tiré par deux chevaux, l'un est bon et obéissant, l'autre rétif et rebelle, d'où l'enjeu pour le conducteur - c'est-à-dire la raison - de diriger son attelage en prenant soin de ménager ses deux montures.  

Dans une autre oeuvre, Alcibiade, Platon explique par l'intermédiaire de Socrate que la connaissance de soi ressemble à cette image de l'oeil qui ne se voit pas voir, et qui a besoin d'un miroir - de la réflexion - pour se voir voir. Ainsi, la pensée doit être cultivée pour elle-même car elle est ce qu'il y a de divin en l'homme, vision de la vision et principe du principe. 

lundi 12 octobre 2009

Le philosophe ignorant de Voltaire

Voltaire toujours un brin provocateur, part en guerre contre les philosophes savants, ceux qui mettent en système le monde et qui s'en glorifient, croyant détenir la vérité. Derrière l'oxymore du titre Le philosophe ignorant, se cache le doute voltairien modeste et modéré, qui se distingue du doute cartésien hyperbolique et provisoire parce qu'il ne cherche pas à fonder la métaphysique, mais seulement à en démontrer les limites.

Publié en 1766, Le philosophe ignorant synthétise les doutes de Voltaire sur les philosophies de son époque, notamment celles qui sont reprises et ânonnés par les professeurs de philosophie dans les universités. Contre les idées innées de Descartes, il en appelle à l'empirisme de Locke, cet "homme modeste qui ne feint jamais de savoir ce qu'il ne sait pas" (p.77). De même que le corps acquiert ses forces progressivement, les idées s'affermissent à mesure que nous vieillissons. Vouloir aller au-delà pour en connaître les premiers principes, c'est manquer d'humilité.

« Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Que fais-tu ? » (p. 29) se demande Voltaire (alors âgé de 72 ans) au début de son livre : « un faible animal » (p. 30) répond-t-il un doute plus loin. La faiblesse consiste à naître sans force ni connaissance. Mais il n'y a pas lieu de désespérer : si la faiblesse est le fond de ce que nous sommes, encore nous est-il possible de connaître pourvue que l'on se mette toujours en quête de la vérité. Le sceptique voltairien est tout sauf un pessimiste découragé : « malgré ce désespoir, je ne laisse pas de désirer d'être instruit, et ma curiosité trompée est toujours insatiable » (p. 33).

Contre les illusions, Voltaire en appelle à l'expérience. Dans leurs déductions imaginaires, les philosophes se perdent parfois dans des considérations vaines qui sont d'un « prodigieux ridicule » (p. 34). Voltaire défend la séparation des considérations religieuses et des réflexions philosophiques au nom de ce point de départ de l'expérience. Pourtant à maintes reprises, il s'affirme déiste : « j'admets cette intelligence suprême, sans craindre que jamais on puisse me faire changer d'opinion », mais c'est à partir d'une considération liée à l'expérience : « rien n'ébranle en moi cet axiome, tout ouvrage démontre l'ouvrier » (p. 51). Il affirme même que cette intelligence doit être éternelle. Mais il n'ira pas plus loin, renonçant à dire si elle est infinie ou non : « cette intelligence est-elle infinie en puissance et en immensité, comme est incontestablement infinie en durée ? Je n'en puis rien savoir par moi-même » (p. 53).

Voltaire n'est pas un anti métaphysicien radical. S'il se moque de Pangloss dans Candide, celui qui enseigne la « métaphysico-théologo-cosmolonigologie » (p. 80), la nigologie - néologisme qui désigne la science des nigauds - c'est parce qu'il débite des discours abscons sur les fins dernières qui lui font perdre le sens commun. « Pangloss avouait qu'il avait toujours horriblement souffert ; mais ayant soutenu une fois que tout allait à merveille, il le soutenait toujours, et n'en croyait rien » (p. 257). Dans Candide, la philosophie leibnizienne et sa thèse optimiste du meilleur des mondes possibles est raillée à travers le personnage de Pangloss : il suffit de regarder autour de soi et de constater les malheurs du monde pour s'apercevoir de l'inconséquence d'une théorie aussi audacieuse que délirante. L'évidence empiriste parle d'elle-même, pourquoi vouloir nier ce que le bon sens nous amène à penser ?

Certes le bon sens seul ne suffit pas à la critique. La source du sens critique se dégage dans un doute suivi d'une analyse de l'expérience par la raison. Mais en spéculant sur le monde, les philosophes se perdent dans leurs idées et conçoivent des systèmes qui n'ont pas prise sur la réalité. « Depuis Thalès jusqu'aux professeurs de nos universités, et jusqu'aux plus chimériques raisonneurs, et jusqu'à leurs plagiaires, aucun philosophe n'a influé seulement les mœurs de la rue où il demeurait. Pourquoi ? Parce que les hommes se conduisent par la coutume et non par la métaphysique » (p. 69). Par conséquent, tout philosophe imbu de son savoir est menacé par le délire et la contingence de sa pensée. Pour se préserver de se risque, il doit garder à l'esprit que « ce qui ne peut être d'un usage universel, ce qui n'est pas à la portée du commun des hommes, ce qui n'est pas entendu par ceux qui ont le plus exercé leur faculté de penser, n'est pas nécessaire au genre humain » (p. 72). Voltaire fait ainsi d'une certaine forme d'ignorance, la meilleure assurance de la vérité.

*
Voltaire (1766), Le philosophe ignorant, GF, Paris, 2009.
Voltaire (1759), Candide ou l'optimisme, in Romans et contes, GF, Paris, 1966.


jeudi 28 mai 2009

La communauté des ébranlés de Jan Patočka

Dans La Crise du sens, le philosophe tchèque Jan Patočka (1907-1977), évoque la « communauté des ébranlés » comme cette communauté qui partage, non pas un même sens assuré de la vie et du monde, mais un même sentiment d'ébranlement du sens toujours à construire et à renouveler.

La communauté des ébranlés est la communauté des gens qui vivent dans le souci de la réalité et de la vie en la société. Elle est inséparable d'une modalité de l'existence tournée vers autrui, ce que l'on nomme en philosophie l'être-avec. En d'autres termes, il s'agit d'une manière de se penser comme existant dans un monde commun dont le sens n'est pas évident, et de faire de cette non-évidence, le socle d'une société nouvelle, ouverte à l'universel à partir d'un ébranlement de la différence.

Sous un autre angle, la communauté des ébranlés est une manière de s'affronter à la réalité sans nier son caractère profondément subjectif et incertain. Il ne s'agit pas d'une communauté religieuse, ni d'une communauté refermée sur elle-même, sur ses propres particularités, sur le mode communautariste. La communauté des ébranlés est une communauté qui repose sur un sentiment philosophique de l'ébranlement.

L'ébranlement en philosophie est une expérience vécue par Platon au contact de son maître Socrate. Socrate en effet, ébranle les fausses certitudes en tournant la réflexion de son interlocuteur vers la recherche de la vérité. La protreptique est le nom de ce mouvement par lequel un homme qui croit savoir, finit par comprendre qu'il ne fait qu'opiner, et donc comprend qu'il doit redoubler d'effort pour parvenir à la vérité. Dans l'ébranlement, Socrate laisse entrevoir la vérité, c'est-à-dire l'être, non pas comme quelque chose que l'on peut posséder, mais comme un comportement qui est celui de sa recherche.

Si l'on transfert maintenant cette idée d'ébranlement à la politique et à la société, une communauté des ébranlés est une communauté habitée par un sentiment que le vrai en politique ne réside pas dans des valeurs ou des savoirs, mais dans l'expérience de l'être-avec, dans sa recherche renouvelée. De même que la philosophie est l'amour des savoirs et non pas savoir, la politique selon Patočka est un amour des communautés dont le sens s'est ébranlé et est donc à reconstruire.

Cet ébranlement est un dépassement. Il est ce qui dans la communauté communautaire renvoie à ses limites, à ce qu'elle n'explique pas ou ce qu'elle comprend mal. La communauté des ébranlés est la communauté permettant le dialogue entre toutes les communautés en ce que celles-ci peuvent y voir leur propre limite et prendre conscience de leur finitude. Elle est un amour de l'être-avec, une communauté davantage soucieuse de la souffrance humaine plutôt que de l'abstraction ou des particularismes.