« Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Que fais-tu ? » (p. 29) se demande Voltaire (alors âgé de 72 ans) au début de son livre : « un faible animal » (p. 30) répond-t-il un doute plus loin. La faiblesse consiste à naître sans force ni connaissance. Mais il n'y a pas lieu de désespérer : si la faiblesse est le fond de ce que nous sommes, encore nous est-il possible de connaître pourvue que l'on se mette toujours en quête de la vérité. Le sceptique voltairien est tout sauf un pessimiste découragé : « malgré ce désespoir, je ne laisse pas de désirer d'être instruit, et ma curiosité trompée est toujours insatiable » (p. 33).
Contre les illusions, Voltaire en appelle à l'expérience. Dans leurs déductions imaginaires, les philosophes se perdent parfois dans des considérations vaines qui sont d'un « prodigieux ridicule » (p. 34). Voltaire défend la séparation des considérations religieuses et des réflexions philosophiques au nom de ce point de départ de l'expérience. Pourtant à maintes reprises, il s'affirme déiste : « j'admets cette intelligence suprême, sans craindre que jamais on puisse me faire changer d'opinion », mais c'est à partir d'une considération liée à l'expérience : « rien n'ébranle en moi cet axiome, tout ouvrage démontre l'ouvrier » (p. 51). Il affirme même que cette intelligence doit être éternelle. Mais il n'ira pas plus loin, renonçant à dire si elle est infinie ou non : « cette intelligence est-elle infinie en puissance et en immensité, comme est incontestablement infinie en durée ? Je n'en puis rien savoir par moi-même » (p. 53).
Voltaire n'est pas un anti métaphysicien radical. S'il se moque de Pangloss dans Candide, celui qui enseigne la « métaphysico-théologo-cosmolonigologie » (p. 80), la nigologie - néologisme qui désigne la science des nigauds - c'est parce qu'il débite des discours abscons sur les fins dernières qui lui font perdre le sens commun. « Pangloss avouait qu'il avait toujours horriblement souffert ; mais ayant soutenu une fois que tout allait à merveille, il le soutenait toujours, et n'en croyait rien » (p. 257). Dans Candide, la philosophie leibnizienne et sa thèse optimiste du meilleur des mondes possibles est raillée à travers le personnage de Pangloss : il suffit de regarder autour de soi et de constater les malheurs du monde pour s'apercevoir de l'inconséquence d'une théorie aussi audacieuse que délirante. L'évidence empiriste parle d'elle-même, pourquoi vouloir nier ce que le bon sens nous amène à penser ?
Certes le bon sens seul ne suffit pas à la critique. La source du sens critique se dégage dans un doute suivi d'une analyse de l'expérience par la raison. Mais en spéculant sur le monde, les philosophes se perdent dans leurs idées et conçoivent des systèmes qui n'ont pas prise sur la réalité. « Depuis Thalès jusqu'aux professeurs de nos universités, et jusqu'aux plus chimériques raisonneurs, et jusqu'à leurs plagiaires, aucun philosophe n'a influé seulement les mœurs de la rue où il demeurait. Pourquoi ? Parce que les hommes se conduisent par la coutume et non par la métaphysique » (p. 69). Par conséquent, tout philosophe imbu de son savoir est menacé par le délire et la contingence de sa pensée. Pour se préserver de se risque, il doit garder à l'esprit que « ce qui ne peut être d'un usage universel, ce qui n'est pas à la portée du commun des hommes, ce qui n'est pas entendu par ceux qui ont le plus exercé leur faculté de penser, n'est pas nécessaire au genre humain » (p. 72). Voltaire fait ainsi d'une certaine forme d'ignorance, la meilleure assurance de la vérité.
Pas de commentaire particulier à ce billet. Juste un bravo global pour ce travail d'érudition et de vulgarisation que constitue mise à disposition de ces fiches... un véritable bien public.
RépondreSupprimermerci, votre message m'encourage à continuer :)
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