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lundi 12 mars 2018

Cours - Théorie et expérience

Introduction

Une théorie constitue un ensemble d'idées organisées entre elles proposant de rendre compte de la réalité ou d'une partie de celle-ci. Par exemple, la théorie du complot est une théorie qui procède d'une certaine vision de l'histoire selon laquelle un groupe occulte profiterait de son influence pour asseoir sa domination sur le monde. L'étymologie du terme théorie renvoie au grec theoria qui signifie "contemplation". Elle suggère que la théorisation est une activité essentiellement intellectuelle, une construction de la raison. En ce sens, la théorie s'opposerait à la pratique qui désignerait un rapport au réel beaucoup plus concret, une façon de faire plutôt qu'une manière de penser déconnectée de la réalité, voire délirante.

Ce qui est valorisé dans la pratique (entendue comme ce qui s'oppose à la théorie), c'est l'expérience : on dit alors que l'on a fait l'expérience de quelque chose ou qu'on a acquis de l'expérience. Cette expérience est souvent valorisée par rapport à une vision purement théorique. On oppose alors deux types de connaissance : une connaissance qui serait d'origine purement livresque, théorique, scolaire et une connaissance concrète des choses, fondée sur une longue expérience. Cette dimension de connaissance se retrouve dans l'étymologie du terme "expérience" qui en grec se dit empereia et qui a donné "empirisme", nom d'une doctrine philosophique selon laquelle toute connaissance provient de l'expérience. Plus généralement, est empirique, tout ce qui provient de l'expérience. Ainsi, on dira d'un procédé qu'il est empirique s'il en reste au niveau de l'expérience commune, sans atteindre une dimension rationnelle ou systématique. A ce stade, théorie et expérience semblent s'opposer.  

jeudi 8 mars 2018

"Un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience"


Commentaire

La logique de la découverte scientifique (1934) est un ouvrage du philosophe autrichien Karl Popper (1902-1994). Son objectif est de déterminer un critère de démarcation entre science et pseudo-science. Pour ce faire, il met au point le concept de falsifiabilité (ou de réfutabilité) selon lequel pour qu'une théorie soit scientifique, il faut et il suffit qu'elle soit réfutable par l'expérience. Ce critère vise à remplacer celui traditionnellement admis dans les sciences qui consiste à mettre l'accent sur la vérifiabilité d'une théorie, c'est-à-dire sa corroboration par l'expérience. 

Le texte ci-dessous est extrait du premier chapitre de l'ouvrage qui s'intitule "Examen de certains problèmes fondamentaux". Popper s'intéresse à la science en tant que logicien. Il montre notamment que les sciences empiriques, c'est-à-dire progressant au moyen de l'expérience, fonctionnent par induction : elles remontent d'énoncés particuliers jusqu'à des énoncés universels tels que des hypothèses ou des théories. Or cette remontée, comme l'a bien montré Hume, ne peut pas parvenir à un caractère de vérité absolue. Il est en effet impossible d'établir des énoncés qui soient absolument universels à partir seulement d'inférence de cas particuliers car il est toujours possible, en droit, qu'un cas invalide la théorie. En soulignant que les inférences inductives sont logiquement injustifiées, Popper pose la question de savoir si des lois naturelles peuvent être établies comme véridiques. 

mardi 6 mars 2018

"Les instruments ne sont que des théories matérialisées"

Commentaire

Le Nouvel esprit scientifique (1934) est un ouvrage de Gaston Bachelard (1884-1962) qui expose la nouvelle philosophie des sciences apparue au début du XXe siècle et que Bachelard nomme épistémologie non-cartésienne. Le nouvel esprit scientifique s'inscrit en rupture avec l'ancien esprit marqué par l'influence de la théorie cartésienne des natures simples. En effet, Descartes conçoit le réel comme connaissable à partir du moment où l'on est capable de réduire sa complexité apparente à des natures simples telles que la figure, l'étendue ou le mouvement (voir la Règle n° 12 des Règles pour la direction de l'esprit). Or, Bachelard montre que le réel n'est pas donné d'emblée, mais qu'il est le résultat d'une construction rationnelle. Le nouvel esprit scientifique s'attache plutôt à complexifier cette construction en s'intéressant au tissu de relations dans lequel se trouve le phénomène étudié, plutôt qu'à analyser ses éléments en allant du complexe au simple. 

Le texte ci-dessous est extrait de l'introduction de l'ouvrage. Elle s'intitule "La complexité essentielle de la philosophie scientifique". Bachelard a commencé par montrer qu'il existait deux attitudes philosophiques fondamentales : le rationalisme qui fait de la science une construction de la raison et le réalisme qui en fait un accès au phénomène tels qu'ils sont. Dans la science contemporaine, ces deux attitudes se retrouvent étroitement mêlées. Mais Bachelard décèle un vecteur particulier qui part du rationnel pour aller au réel, la science étant ainsi conçue comme la réalisation du rationnel. Cette réalisation du rationnel se produit dans les sciences physiques notamment via ce que Bachelard nomme "un réalisme technique", c'est-à-dire qu'il existe un lien étroit entre la théorie et le réel via l'appareillage dans les sciences. Les instruments du scientifique sont toujours le fruit d'une construction qui résulte du progrès des sciences, d'un approfondissement du réel par la raison au moyen de la technique. 

dimanche 4 mars 2018

"La raison [...] doit se présenter à la nature en tenant d'une main ses principes [...] et de l'autre les expériences"

Commentaire

La Critique de la raison pure (1781) est un ouvrage du philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) qui vise à réhabiliter la raison contre les attaques sceptiques qui montrent que nous ne pouvons atteindre que les phénomènes, les choses telles qu'elles nous apparaissent, et jamais la réalité en tant que telle, indépendamment de nous. Contrairement à Descartes qui cherche à vaincre le scepticisme en établissant un système métaphysique élaboré sur la certitude absolue du cogito, Kant institue un tribunal de la raison afin de déterminer quelles sont ses prétentions légitimes de connaître. La critique est ce qui doit permettre d'établir le périmètre à l'intérieur duquel la raison peut obtenir des connaissances indubitables et au-delà duquel elle ne peut aboutir qu'à des connaissances illusoires (cf. les Idées de la raison que sont l'âme, Dieu ou la liberté).

Le texte ci-dessous est extrait de la "Seconde préface" rédigée à l'occasion de la réédition de la Critique de la raison pure en 1787. Dans celle-ci, Kant commence par analyser le changement de méthode qui a conduit à ce que la mathématique entre dans la voie sûre de la science. S'il n'est pas possible de faire l'histoire de cette révolution à cause des temps reculés où elle s'est produite, Kant estime que c'est à Thalès qu'il faut attribuer le changement de méthode qui consiste à ne plus partir de la figure telle qu'on la voit, mais à lui imposer un raisonnement purement rationnel et a priori, c'est-à-dire partir d'un concept tel que celui de triangle isocèle, pour en connaître les principales caractéristiques, a priori, simplement en examinant au moyen de la raison toutes les propriétés qui découlent nécessairement de lui. Il en vient ensuite à s'intéresser à la manière dont la physique est devenue une science.

samedi 3 mars 2018

"Rien n'est dans l'intelligence qui n'ait auparavant été dans les sens, si ce n'est l'intelligence elle-même"

Commentaire 

Les Nouveaux Essais sur l'entendement humain (1765) sont une œuvre de Leibniz (1646-1716) qui se veut une réponse critique, livre par livre, chapitre par chapitre, aux Essais sur l'entendement humain de Locke. Les Nouveaux Essais sont composés de quatre livres dont les titres sont similaires aux Essais de Locke : "Des notions innées", "Des idées", "Des mots" et "De la connaissance". A la différence toutefois de l'ouvrage de Locke, Leibniz opte pour la forme du dialogue. Il met en scène deux personnages : Philalèthe, qui expose la pensée de Locke, et Théophile, qui défend la pensée de Leibniz. Comme Locke, Leibniz reconnaît le rôle de l'expérience dans la formation de la connaissance, il réfute cependant sa position empiriste selon laquelle toutes les idées viendraient uniquement des sens.  

Le texte ci-dessous est extrait du livre II portant sur les idées et, plus précisément, de son premier chapitre. C'est Théophile qui parle. Dans le livre I consacré aux idées innées, Leibniz considère que nous avons en nous, virtuellement, un certain nombre d'idées et de vérités. Virtuellement, c'est-à-dire que ces idées innées sont en puissance dans l'âme et qu'elles sont activées à mesure de nos expériences. A cela, il faut ajouter que l'âme est, selon Leibniz, un principe immatériel qui fonde la vie et l'unité du vivant. Chaque vivant dispose d'une âme, mais l'homme possède une âme raisonnable qui le rend capable de connaître le réel et d'atteindre la vérité. Ainsi, Leibniz s'inscrit à la fois dans le sillage de Platon qui, dans le Ménon, démontre que les individus ont en eux des notions innées de géométrie et d'arithmétique, et d'Aristote, qui fait de l'âme le principe de vie du corps organique. 

mercredi 21 février 2018

"L'expérience : c'est là le fondement de toutes nos connaissances"


Commentaire

L'Essai philosophique concernant l'entendement humain (1690) a été rédigé par le philosophe anglais John Locke (1632-1704). Cet ouvrage, composé de quatre livres, vise à établir quelle est l'origine des idées et des connaissances humaines. Pour Locke, qui est un philosophe empiriste, tout le savoir humain découle de l'expérience et de l'expérience seule. A la naissance, l'âme d'un enfant est complètement vide. Locke s'oppose ainsi aux rationalistes tels que Descartes qui considèrent que notre connaissance vient d'une capacité de la raison à saisir certaines idées indépendamment de toute expérience. 

Le texte ci-dessous est extrait du livre II consacré aux idées et, plus précisément, de son premier chapitre qui s'intéresse à leur origine. Dans le livre I ("Des notions innées"), Locke s'en prend notamment à la théorie cartésienne des idées innées. Dans les Méditations métaphysiques (III), Descartes distingue trois sortes d'idées : les idées adventices (venues du dehors), les idées factices (liées à l'imagination) et les idées innées (mises en nous par Dieu, par exemple, les idées mathématiques). Pour contrer l'innéisme cartésien, Locke évoque l'absence de telles idées chez les enfants et chez les idiots. S'il n'existe pas d'idées innées, d'où viennent les idées que nous formons ?

"Notre plus grande ressource [...] est l'étroite alliance de ces deux facultés : l'expérimentale et la rationnelle"


Commentaire

Le Novum Organum ou Nouvelle Logique (1620) est un ouvrage du philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626). A l'origine, il prend place dans un système plus ambitieux mais inachevé qui se nomme Instauratio Magna (La Grande Restauration des sciences) et dont l'objet est de constituer une somme de connaissances tout en assurant la promotion d'une nouvelle méthode dans la découverte de savoirs. Francis Bacon cherche en effet à rompre avec une partie de la tradition aristotélicienne et à remettre l'expérience au centre des préoccupations des scientifiques.

Le texte ci-dessous est extrait du premier livre du Novum Organum et constitue l'aphorisme n° 95. Francis Bacon constate qu'à la différence des arts mécaniques qui se perfectionnent, la philosophie semble stagner, les auteurs se recopiant les uns les autres sans innover dans leur démarche. Pour cette raison, il préconise une nouvelle méthode qui consiste non plus à séparer, mais à unir la méthode empirique (c'est-à-dire celle qui fait procéder les connaissances de l'expérience) et la méthode rationnelle (celle qui tire les connaissances de l'intellect). L'objectif est de permettre de nouveaux progrès dans la recherche scientifique.

mardi 20 février 2018

Cours - L'interprétation

Introduction

Le terme d'interprétation vient du latin interpretatio qui peut signifier "compréhension" ou "traduction". Interpréter, cela consiste à rendre clair ce qui ne l'était pas au premier abord, à révéler un sens qui était dissimulé. Ainsi, un interprète apparaît comme un médiateur ou un traducteur : il aide son auditoire à comprendre une œuvre en fournissant un ensemble d'informations permettant, par exemple, de mieux appréhender sa situation historique, le courant auquel elle se rattache, etc. En ce sens, l'interprétation aurait pour objectif de tendre vers l'objectivité, d'expliquer l'œuvre dans sa vérité, unique et absolue. 

Cependant, nous avons toujours tendance à relativiser la notion d'interprétation, comme si elle était, par essence, multiple. On dit par exemple : "ce n'est qu'une interprétation" ou encore "il y a plusieurs interprétations possibles". En effet, lorsque nous cherchons à comprendre les événements de notre vie, nous leur donnons du sens, mais ce sens nous est propre, subjectif, correspondant à notre vision du monde. Il y aurait donc deux acceptions possibles de l'interprétation : une première portant sur l'activité de l'interprète qui proposerait, au moyen de connaissances, de redonner son sens à une œuvre, et une seconde, renvoyant à notre interprétation du monde, forcément plurielle et marquée par notre subjectivité.

lundi 12 février 2018

"Comprendre un texte, c’est tou­jours se l’appliquer à soi-même"

Commentaire

Vérité et Méthode (1960) est un ouvrage de Hans Georg Gadamer (1900-2002) dont le sous-titre est Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique. Gadamer propose en effet une herméneutique - art d'interpréter les textes - qui n'est pas une méthode parmi d'autres, mais qui, en amont, se rattache à toute tentative de compréhension, que celle-ci soit scientifique, artistique ou philosophique. Il existe donc un domaine de la vérité qui excède celle définie par la méthode, cet ensemble de règles qui vise justement à découvrir la vérité, c'est ce que Gadamer nomme l'expérience de vérité que nous faisons dans l'art, dans les sciences de l'esprit - et plus précisément l'histoire - et dans le langage. Dans ces trois domaines qui correspondent aux trois parties du livre, la vérité ne correspond pas à la définition qu'en donnent les sciences naturelles, elle échappe donc en partie à la méthode. 

Le texte ci-dessous est extrait de la troisième et dernière partie de l'ouvrage intitulée "Tournant ontologique pris par l'herméneutique sous la conduite du langage". Gadamer estime que notre accès à l'être ne peut passer que par le langage, ce qui signifie que comprendre revient à traduire le réel en langage. Cette idée fondamentale implique qu'il n'existe pas de compréhension indépendamment d'un langage. Cela a pour conséquence également que notre accès à l'être dépend de notre époque, nous sommes pris dans l'histoire laquelle détermine, comme le fait notre langage, notre compréhension du réel. L'herméneutique n'est donc pas qu'une méthode pour découvrir la vérité, mais elle devient, sous la plume de Gadamer, la condition de possibilité de toute compréhension du monde, laquelle caractérise notre être dans ce qu'il a de plus essentiel : nous sommes en tant qu'humain des êtres comprenants.

samedi 13 janvier 2018

"L’interprétation se trouve devant l’obligation de s’interpréter elle-même à l’infini"

Commentaire

"Nietzsche, Freud, Marx" constitue le texte d'une table ronde du colloque de Royaumont qui s'est tenu en 1967. Selon Foucault, ces trois auteurs n'ont pas seulement permis de donner de nouveaux cadres d'interprétation grâce à leur pensée, ils ont aussi contribué à changer la nature du signe et la manière dont celui-ci était interprété. Son ambition est de permettre de dégager les traits caractéristiques du régime d'interprétation dans lequel on se situe. Il note d'ailleurs, au début de son intervention, que chaque forme culturelle dans la civilisation occidentale a eu ses techniques propre d'interprétation. 


Le texte ci-dessous constitue l'énoncé du quatrième et dernier postulat de l'herméneutique moderne selon Foucault : l'interprétation se trouve toujours devant l'obligation de s'interpréter elle-même à l'infini. Il a d'abord commencé par souligner le renversement que réalisent Nietzsche, Freud et Marx par rapport à l'idée de profondeur : elle serait finalement qu'une idée superficielle qu'il faudrait, par conséquent, étaler. Il ajoute qu'à partir de ces trois hommes, la tâche de l'interprétation est devenue infinie : il en voit la preuve dans le fait qu'ils partagent un même refus du commencement. Enfin, le troisième principe est qu'il n'y a rien d'absolument premier à interpréter car, au fond, tout est déjà interprétation, chaque signe étant déjà une interprétation d'autres signes. 

jeudi 11 janvier 2018

"J'entends par compréhension la capacité de reprendre en soi-même le travail de structuration du texte"

Commentaire

Du texte à l'action. Essais d'herméneutique II (1986) est un recueil d'articles écrits dans les années 70 à 80 que l'on doit au philosophe Paul Ricœur (1913-2005). Comme son sous-titre l'indique, il y est principalement question d'herméneutique qui est l'art d'interpréter les textes. Ricœur reprend la vieille polémique entre explication et compréhension pour en proposer une lecture plus dialectique, c'est-à-dire faisant appel à l'une et à l'autre. Avec le succès du structuralisme en sciences humaines, méthode qui consiste à se concentrer sur les structures de l'objet étudié et donc à mettre de côté la dimension subjective du texte (écrit par un auteur, lu par un lecteur), celles-ci se sont éloignées d'une certaine philosophie, celle dont Ricœur se veut l'héritier et qui se place en filiation avec la phénoménologie de Husserl, mais aussi d'autres penseurs tels que Gadamer, Schleiermacher et Heidegger.

Le texte ci-dessous est extrait d'un article qui se trouve au début du recueil et qui a pour titre "De l'interprétation". Ricœur vient d'expliquer qu'il assigne à l'herméneutique la tâche de reconstruire ce qu'il appelle le "double travail du texte", à savoir d'une part, sa dynamique interne et, d'autre part, sa projection externe. La dynamique interne est ce qui préside à la structuration d'une œuvre. La projection externe est la capacité de cette œuvre à se projeter hors d’elle-même pour engendrer un monde qui soit la "chose" du texte. Or c'est dans le cadre de la reconstruction de la dynamique interne du texte que Ricœur souhaite réconcilier, après les avoir redéfinies, compréhension et explication. Son objectif, in fine, est de permettre un nouveau dialogue entre sciences humaines et philosophie de l'interprétation. 

mercredi 10 janvier 2018

"La nature, nous l'expliquons ; la vie de l'âme, nous la comprenons"

Commentaire


Le Monde de l'Esprit (1926) ou, en allemand, Die geistige Welt est un recueil de différents essais que l'on doit à Wilhelm Dilthey (1833-1911). Tous ces essais sont consacrés au fondement de ce qu'il appelle les "sciences de l'esprit" qui correspondent aujourd'hui aux sciences humaines telles que la sociologie, la psychologie, l'histoire ou encore la géographie. Dilthey est à l'origine de la distinction entre sciences humaines et sciences naturelles. Alors que les sciences humaines sont fondées sur une méthode compréhensive, les sciences naturelles reposent sur une méthode explicative. Il s'oppose en cela à Auguste Comte qui considère qu'il existe une continuité de méthode entre la connaissance de l'homme et celle de la nature.

Le texte ci-dessous est extrait de l'essai qui s'intitule "Idées concernant une psychologie descriptive et analytique". Dilthey s'interroge sur la possibilité de mettre en place une psychologie qu'il appelle "descriptive et analytique" au sens où celle-ci procéderait différemment de la psychologie explicative de son époque qui, à la manière des sciences de la nature, fonde l'intelligence de la vie psychique sur une série d'hypothèses. Or cette méthode est inapte pour penser la psychologie humaine car celle-ci est prise dans une culture. C'est pourquoi, la psychologie en laquelle il croie affirme, au contraire, la prééminence du tout de la vie psychique sur les hypothèses qui sont ensuite posées par le chercheur. Ce tout de la vie psychique fonctionne comme une donnée primitive et fondamentale qu'il est impossible d'écarter. 

mardi 9 janvier 2018

"Le rêve est un rébus"

Commentaire

L'interprétation du rêve (1900) est un livre de Sigmund Freud (1856-1939) portant sur l'analyse des rêves. Il fait partie des ouvrages fondateurs de la psychanalyse. Freud observe que les rêves restent bien souvent incompréhensibles si on en reste à leur description consciente. Il affirme cependant qu'il est possible de les comprendre à condition d'appliquer la bonne clé interprétative : comme les rêves sont la réalisation déguisée d'un désir, le sujet ne s'en souvient que vaguement. Il faut donc, par une activité analytique, décrypter les symboles dont ils sont porteurs afin de parvenir à leur explicitation et à leur compréhension.

Le texte ci-dessous est tiré du début de la VIe partie de l'ouvrage et s'intitule "Le travail du rêve". Dans la IVe partie, Freud a déjà distingué le contenu latent et le contenu manifeste du rêve : le premier constitue toujours la satisfaction d'un souhait alors que le second est retravaillé par l'inconscient psychique pour ne plus en avoir l'aspect. Tout l'enjeu de l'interprétation est donc de restituer le souhait refoulé, présent sous le rêve manifeste, en le considérant comme une sorte de "palimpseste", c'est-à-dire comme un manuscrit qui aurait été effacé pour être recouvert d'un second texte. L'inconscient opère ainsi une censure qui dissimule à la conscience les éléments sensés du rêve. 

lundi 8 janvier 2018

"Le monde nous est bien plutôt devenu, une fois encore, "infini""

Commentaire

Le Gai Savoir (paru en 1882 mais dont la Préface et la Ve partie datent de 1887) est un ouvrage de Friedrich Nietzsche (1844-1900). Nietzsche dresse le constat du dogmatisme des sciences, c'est-à-dire le besoin de fixer un sens dans des formules définitives. Or il estime que le savoir est essentiellement artistique, c'est-à-dire inventivité, créativité et donc pluralité de sens. Plus généralement, il appelle à la transmutation de toutes les anciennes valeurs que sont, par exemple, la vérité, le bien, le beau, la justice, la vertu, l'être, etc.,  toutes ces valeurs correspondant aux idéaux du christianisme et qui plongent leurs racines dans le platonisme. Il annonce ainsi symboliquement la mort de Dieu (cf. § 125 et § 343) et espère en l'émergence d'un "surhomme" capable de poser des valeurs nouvelles. 

Le texte ci-dessous est extrait de la Ve partie de l'ouvrage intitulée "Nous sans peur" et constitue, plus précisément, son paragraphe 374. Dans le paragraphe précédent (§ 373 - ""Science" comme préjugé"), Nietzsche critique l'interprétation scientifique du monde qu'il considère comme "l'une des plus stupides" au sens où, réduisant tout le réel à des formules et à des calculs, elle s'empêcherait d'en saisir toute la richesse de significations. Une appréciation purement scientifique de la musique serait absurde dans la mesure où elle serait impuissante à rendre compte pleinement de celle-ci. Ainsi, un monde réduit à une interprétation mécaniste, analysant seulement les causes et les effets, serait "un monde essentiellement dénué de sens" conclut Nietzsche. Face à cela, il désire montrer que tout est fondamentalement interprétation.

samedi 6 janvier 2018

"Pour interpréter l'Écriture, il est nécessaire d'en acquérir une exacte connaissance historique"

Commentaire

Le Traité théologico-politique (1670) est un ouvrage du philosophe néerlandais d'origine portugaise Baruch Spinoza (1632-1677). En le publiant, Spinoza cherche à émanciper la raison de la tutelle théologique et, par conséquent, à permettre à chacun de pouvoir lire et comprendre les textes religieux. Il se fait le défenseur d'une théologie rationnelle, c'est-à-dire d'une exégèse biblique prenant appui sur la connaissance historique et sur la réflexion au moyen des lumières naturelles, dont l'objectif principal est la détermination de l'enseignement éthique qui s'y trouve. 

Le texte ci-dessous est tiré du chapitre VII qui a pour titre : "De l'interprétation de l'Ecriture". Spinoza commence par reconnaître la valeur intrinsèque de l'Ecriture sainte en tant que parole de Dieu et enseignement de la voie menant au salut, c'est-à-dire à la vraie béatitude. Cependant, il s'empresse de constater que certains hommes ont tendance à remplacer cette parole par leurs propres inventions et à obliger les autres à penser comme eux. En ce sens, l'interprétation des textes religieux a un enjeu politique : certains individus cherchent à obtenir du pouvoir sur d'autres en instrumentant la religion à des fins personnelles. Spinoza propose justement une méthode pour se libérer de l'emprise de ces interprètes plus soucieux de l'obéissance de leurs ouailles que du contenu réel des textes sacrés. 

mardi 28 novembre 2017

"La biologie n'est pas une science unifiée"

Commentaire

La logique du vivant (1970) est une histoire de l'hérédité écrite par le biologiste français François Jacob (1920-2013). Elle se compose de cinq chapitres qui suivent la progression de la connaissance du vivant qui progresse par l'étude d'une série d'organisations emboîtées les unes dans les autres ("comme des poupées russes" précise Jacob), chaque structure en cachant une autre. Il distingue quatre niveaux : au XVIIe siècle, l'agencement des surfaces visibles ; au XVIIIe siècle, l'organisation qui sous-tend organes et fonctions, et qui finit par se résoudre en cellules ; au début du XXe siècle : les chromosomes et les gènes que l'on trouve dans la cellule ; au milieu du XXe siècle : la molécule d'acide nucléique déterminant la structuration de l'organisme ainsi que ses propriétés. 

Le texte ci-dessus est extrait de l'introduction de l'ouvrage qui a pour titre "Le programme". Pour François Jacob la notion de programme appliquée à l'hérédité permet à la biologie de sortir de certaines oppositions entre finalisme et mécanisme car on y retrouve deux notions associées intuitivement aux êtres vivants : la mémoire (le souvenir des parents inscrit dans l'hérédité) et le projet (le plan qui dirige la formation d'un organisme). 

lundi 27 novembre 2017

"L'une des propriétés fondamentales qui caractérisent tous les êtres vivants sans exception : celle d'être des objets doués d'un projet"

Commentaire

Le Hasard et la Nécessité (1970) est un ouvrage du biochimiste français Jacques Monod (1910-1976), contributeur du développement de la biologie moléculaire et récipiendaire du prix Nobel de médecine en 1965 (partagé avec André Lwoff et François Jacob). Son ouvrage, composé de neuf chapitres, est un essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne. Si Jacques Monod y affirme la compatibilité de l'existence du vivant et des raisons de son organisation avec les lois de la physique, il précise toutefois qu'elles ne sont pas déductibles de ces lois du fait qu'elles fonctionnent à partir de probabilités. Le mécanisme de reproduction des espèces fonctionne de manière à répliquer à l'identique le code génétique de l'espèce tout en aménageant une possibilité pour que des mutations surviennent aléatoirement.

Le texte ci-dessous est extrait du premier chapitre intitulé "D'étranges objets". Jacques Monod cherche à déterminer ce qui spécifie les objets naturels par rapport aux objets artificiels. Il imagine la mise au point d'un programme dont l'objectif serait d'opérer ce type de repérage à l'occasion de l'exploration d'une nouvelle planète. Après avoir montré que ce ne peut pas être les deux critères de régularité et de répétition, il envisage deux autres critères possibles : la structure et les performances (c'est-à-dire ce qu'on attend d'un objet). Si ce programme comparait au moyen de ces deux critères, par exemple, des chevaux courant dans un champ et une voiture roulant sur une route, il conclurait qu'ils sont comparables puisqu'ils servent à se déplacer et qu'ils ont une structure adaptée au type de surface qu'ils empruntent. Il en va de même lorsqu'on compare un objet naturel et un artefact, par exemple un oeil et un appareil photographique.

jeudi 23 novembre 2017

"Pour les corps vivants (...) aussi, le déterminisme existe"

Commentaire

L'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (1865) est un ouvrage du médecin et physiologiste français Claude Bernard (1813-1878). L'ambition du livre est de donner à la médecine une méthode qui soit pleinement scientifique, c'est-à-dire capable d'établir des lois déterminées au moyen de l'expérimentation. Pour cela, elle doit considérer les phénomènes vivants comme des phénomènes physico-chimiques et procéder rationnellement en cherchant à rapprocher les faits et les théories afin de les vérifier. Trois phases comptent : l'observation d'un fait, l'hypothèse qui l'explique puis l'expérience visant à la vérifier dans des conditions contrôlées par le chercheur. 

Le texte ci-dessous est extrait de la deuxième partie de l'Introduction. Dans la première partie, Claude Bernard s'intéresse au raisonnement expérimental et insiste notamment sur le rôle de l'observation dans l'expérience ainsi que sur la nécessité du doute que doit entretenir le chercheur afin de préserver sa liberté d'esprit. Il en vient, au début de la deuxième partie, à l'expérimentation chez les êtres vivants. Les corps vivants disposent en effet d'une spontanéité, c'est-à-dire d'une capacité à s'affranchir de la causalité physique et à se déterminer par eux-mêmes. Il cherche à montrer pourquoi cette conception du vivant ne s'oppose pas à la mise en pratique d'une méthode expérimentale.

mardi 21 novembre 2017

"Un être organisé n'est donc pas simplement une machine"

Commentaire

La Critique de la faculté de juger (1790) vient compléter les deux premières Critiques écrites par Emmanuel Kant (1724-1804), la Critique de raison pure et la Critique de la raison pratique. La Critique de la raison pure concernait notre faculté de connaître et la Critique de la raison pratique notre faculté de désirer et de vouloir. La troisième critique s'intéresse à notre faculté de juger selon le sentiment de plaisir. Elle comprend deux parties : la première traite du jugement esthétique dans l'art et la seconde du jugement téléologique dans la nature. Dans les deux cas, il s'agit de comprendre ce que l'artiste ou la nature ont cherché à faire (bien que nous ne puissions jamais le savoir) et donc de s'intéresser à la finalité. 

Le texte ci-dessous est extrait de la seconde partie portant sur la critique de la faculté de juger téléologique et, plus précisément, du paragraphe 65. Dans les paragraphes précédents, Kant a montré que les jugements sur la finalité de la nature ne pouvaient pas être tenus pour objectifs, absolus et scientifiques (par exemple, on ne peut pas dire que la neige a objectivement pour fin de protéger les semailles). Cependant, par analogie, il est possible de faire comme si c'était le cas pour compléter les lois de la causalité lorsque l'on considère la finalité interne d'un être vivant (par exemple, un arbre en produit un autre en tant qu'espèce : la finalité de l'arbre est la reproduction de l'arbre).

samedi 18 novembre 2017

"Le corps n'est autre chose qu'une statue ou machine de terre"

Commentaire

Le Traité de l'homme (1662) n'a pas été publié du vivant de Descartes (1596-1650). Il se place à la suite d'un premier traité, le Traité du monde et de la lumière (1664), dans lequel Descartes critique les principes fondamentaux de la physique scolastique, développée au Moyen Age, notamment par Thomas d'Aquin, et qui emprunte de nombreux concepts à la philosophie d'Aristote. Descartes y affirme la thèse de l'héliocentrisme (le soleil est au centre de l'univers), hypothèse contraire au géocentrisme (la terre est au centre de l'univers) admis à l'époque, qui valu d'ailleurs à Galilée une condamnation, ce qui détermina Descartes à différer la publication de ses ouvrages. 

Le texte ci-dessous constitue les premières lignes du Traité de l'homme. Descartes tire les conséquences de sa vision mécaniste du monde pour ce qui concerne l'étude du corps vivant. Il estime que les fonctions corporelles (circulation du sang, respiration, motricité) peuvent s'expliquer par des raisonnements mécanistes, c'est-à-dire au moyen de causes efficientes ou des propriétés physico-chimiques. Cette explication mécaniste des phénomènes vitaux se distingue des thèses finalistes (la nature ne fait rien en vain) et vitalistes (l'âme est le principe vital du corps) avancées par Aristote et réaffirmées par la scolastique.