« Le seul crime réel de l’homme serait de troubler l’ordre de la nature » écrivait Donatien Alphonse François, marquis de Sade. Ce membre de la section des Piques, un groupe révolutionnaire parisien dont Robespierre fit partie, a élaboré une république des forts, projet utopique d’une société idéale désertée par Dieu et débarrassée de la vision béate d’une bonté de la nature. Le sadisme n’est pas qu’un comportement algolagnique (de algos : douleur, et lagneia : rapport sexuel), il ouvre aussi sur une dimension politique : les personnages des romans de Sade déclarent tous collaborer à l’œuvre de la nature, rétablir les valeurs que la société et les règles de bienséance sont venues déranger. En d’autres termes, le sadisme aspire à un changement total et radical de la manière humaine de vivre, un changement qui l’accorderait avec sa véritable nature située par delà bien et mal.
Les hommes politiques partagent avec Sade une même ambition : ils cherchent à persuader leurs semblables qu’ils oeuvrent pour leur bien même lorsqu'ils les font souffrir. Les mesures politiques qu’ils proposent visent à transformer le monde dans lequel vivent leurs concitoyens. Ils leur importent de montrer que l’activité politique a prise sur la vie quotidienne et sur la réalité. Changer la vie, transformer le monde, avoir prise sur la réalité sont autant de manifestations du pouvoir de la politique. Mais faut-il pourtant croire à leurs discours ? Nombreux sont en effet les électeurs déçus de la politique : hausse de l’abstentionnisme, crise de la démocratie, développement du vote extrémiste, constituent autant de signes qui permettent d’en douter. Se demander si la politique peut changer la vie revient donc à s’interroger plus spécifiquement sur ce que peut la politique et sur l’emprise véritable qu’elle peut avoir sur la réalité.
Contrairement à ce qu’aimeraient croire ou faire croire les hommes politiques, l’action politique quotidienne n’a pas la possibilité de changer radicalement la vie des citoyens, mais peut seulement s’adapter aux évolutions des aspirations individuelles et sociales (I).
Néanmoins, au-delà de la surface des événements, l’organisation politique d’une société se révèle être un moyen de rendre possible le vivre ensemble dont l’impact sur la vie des individus est certain mais moins sensible parce qu’inscrit dans un temps long (II).