jeudi 22 mars 2018

"De la subjectivité dans le langage ?"

Emile Benvéniste
(1902-1976).
L'article d'Emile Benvéniste reproduit ci-dessous a été publié initialement dans le Journal de Psychologie en juillet-septembre 1958 aux éditions PUF. Il a ensuite été repris dans le recueil d'articles Problèmes de linguistique générale (1966) publié chez Gallimard (collection Tel, p. 258-266) et constitue son chapitre XXI : "De la subjectivité dans le langage".

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Si le langage est, comme on dit, instrument de communication, à quoi doit-il cette propriété ? La question peut surprendre, comme tout ce qui a l'air de mettre en question l'évidence, mais il est parfois utile de demander à l'évidence de se justifier. Deux raisons viennent alors successivement à l'esprit. L'une serait que le langage se trouve en fait ainsi employé, sans doute parce que les hommes n'ont pas trouvé de moyen meilleur ni même d'aussi efficace pour communiquer. Cela revient à constater ce qu'on voudrait comprendre. On pourrait aussi penser à répondre que le langage présente telles dispositions qui le rendent apte à servir d'instrument ; il se prête à transmettre ce que je lui confie, un ordre, une question, une annonce, et provoque chez l'interlocuteur un comportement chaque fois adéquat. Développant cette idée sous un aspect plus technique, on ajouterait que le comportement du langage admet une description behavioriste, en termes de stimulus et de réponse, d'où l'on conclut au caractère médiat et instrumental du langage. Mais est-ce bien du langage que l'on parle ici ? Ne le confond-on pas avec le discours ? Si nous posons que le discours est le langage mis en action, et nécessairement entre partenaires, nous faisons apparaître, sous la confusion, une pétition de principe, puis que la nature de cet « instrument » est expliquée par sa situation comme « instrument ». Quant au rôle de transmission que remplit le langage, ll ne faut pas manquer d'observer d'une part que ce rôle peut être dévolu à des moyens non linguistiques, gestes, mimique, et d'autre part, que nous nous laissons abuser, en parlant ici d'un instrument », par certains procès de transmission qui, dans les sociétés humaines, sont, sans exception, postérieurs au langage et qui en imitent le fonctionnement. Tous les systèmes de signaux, rudimentaires ou complexes, se trouvent dans ce cas. 

En réalité la comparaison du langage avec un instrument, et il faut bien que ce soit avec un instrument matériel pour que la comparaison soit simplement intelligible, doit nous remplir de méfiance, comme toute notion simpliste au sujet du langage. Parler d'instrument, c'est mettre en opposition l'homme et la nature. La pioche, la flèche, la roue ne sont pas dans la nature. Ce sont des fabrications. Le langage est dans la nature de l'homme, qui ne l'a pas fabriqué. Nous sommes toujours enclins à cette imagination naïve d'une période originelle où un homme complet se découvrirait un semblable, également complet, et entre eux, peu à peu, le langage s'élaborerait. C'est là pure fiction. Nous n'atteignons jamais l'homme séparé du langage et nous ne le voyons jamais l'inventant. Nous n'atteignons jamais l'homme réduit à lui-même et s'ingéniant à concevoir l'existence de l'autre. C'est un homme parlant que nous trouvons dans le monde, un homme parlant à un autre homme, et le langage enseigne la définition même de l'homme. 

Tous les caractères du langage, sa nature immatérielle, son fonctionnement symbolique, son agencement articulé, le fait qu'il a un contenu, suffisent déjà à rendre suspecte cette assimilation à un instrument, qui tend à dissocier de l'homme la propriété du langage. Assurément, dans la pratique quotidienne, le va-et-vient de la parole suggère un échange, donc une « chose que nous échangerions, elle semble donc assumer une fonction instrumentale ou véhiculaire que nous sommes prompts à hypostasier en un objet ». Mais, encore une fois, ce rôle revient à la parole. 

Une fois remise à la parole cette fonction, on peut se demander ce qui la prédisposait à l'assurer. Pour que la parole assure la « communication », il faut qu'elle y soit habilitée par le langage, dont elle n'est que l'actualisation. En effet, c'est dans le langage que nous devons chercher la condition de cette aptitude. Elle réside, nous semble-t-il, dans une propriété du langage, peu visible sous l'évidence qui la dissimule, et que nous ne pouvons encore caractériser que sommairement. 

C'est dans et par le langage que l'homme se constitue comme sujet, parce que le langage seul fonde en réalité, dans sa réalité qui est celle de l'être, le concept d'« ego ». 

La « subjectivité » dont nous traitons ici est la capacité du locuteur à se poser comme « sujet ». Elle se définit, non par le sentiment que chacun éprouve d'être lui-même (ce sentiment, dans la mesure où l'on peut en faire état, n'est qu'un reflet), mais comme l'unité psychique qui transcende la totalité des expériences vécues qu'elle assemble, et qui assure la permanence de la conscience. Or nous tenons que cette « subjectivité », qu'on la pose en phénoménologie ou en psychologie, comme on voudra, n'est que l'émergence dans l'être d'une propriété fondamentale du langage. Est ego » qui dit « ego ». Nous trouvons là le fondement de la « subjectivité », qui se détermine par le statut linguistique de la « personne ». 

La conscience de soi n'est possible que si elle s'éprouve par contraste. Je n'emploie je qu'en m'adressant à quelqu'un, qui sera dans mon allocution un tu. C'est cette condition de dialogue qui est constitutive de la personne, car elle implique en réciprocité que je deviens tu dans l'allocution de celui qui à son tour se désigne par je. C'est là que nous voyons un principe dont les conséquences sont à dérouler dans toutes les directions. Le langage n'est possible que parce que chaque locuteur se pose comme sujet, en renvoyant à lui même comme je dans son discours. De ce fait, je pose une autre personne, celle qui, tout extérieure qu'elle est à « moi », devient mon écho auquel je dis tu et qui me dit tu. La polarité des personnes, telle est dans le langage la condition fondamentale, dont le procès de communication, dont nous sommes parti, n'est qu'une conséquence toute pragmatique. Polarité d'ailleurs très singulière en soi, et qui présente un type d'opposition dont on ne rencontre nulle part, hors du langage, l'équivalent. Cette polarité ne signifie pas égalité ni symétrie : « ego » a toujours une position de transcendance à l'égard de tu ; néanmoins, aucun des deux termes ne se conçoit sans l'autre ; ils sont complémentaires, mais selon une opposition « intérieur/extérieur », et en même temps ils sont réversibles. Qu'on cherche à cela un parallèle ; on n'en trouvera pas. Unique est la condition de l'homme dans le langage. 

Ainsi tombent les vieilles antinomies du « moi » et de 1' « autre », de l'individu et de la société. Dualité qu'il est illégitime et erroné de réduire à un seul terme originel, que ce terme unique soit le « moi », qui devrait être installé dans sa propre conscience pour s'ouvrir alors à celle du « prochain », ou qu'il soit au contraire la société, qui préexisterait comme totalité à l'individu et d'où celui-ci ne se serait dégagé qu'à mesure qu'il acquérait la conscience de soi. C'est dans une réalité dialectique englobant les deux termes et les définissant par relation mutuelle qu'on découvre le fondement linguistique de la subjectivité. 

Mais faut-il que ce fondement soit linguistique ? Où sont les titres du langage à fonder la subjectivité ? 

En fait le langage en répond dans toutes ses parties. Il est marqué si profondément par l'expression de la subjectivité qu'on se demande si, autrement construit, il pourrait encore fonctionner et s'appeler langage. Nous parlons bien du langage, et non pas seulement de langues particulières. Mais les faits des langues particulières, qui s'accordent, témoignent pour le langage. On se contentera de citer les plus apparents. 

Les termes mêmes dont nous nous servons ici, je et tu, ne sont pas à prendre comme figures, mais comme formes linguistiques, indiquant la « personne ». C'est un fait remarquable - mais qui pense à le remarquer tant il est familier ? - que parmi les signes d'une langue, de quelque type, époque ou région qu'elle soit, jamais ne manquent les « pronoms personnels ». Une langue sans expression de la personne ne se conçoit pas. Il peut seulement arriver que, dans certaines langues, en certaines circonstances, ces « pronoms » soient délibérément omis ; c'est le cas dans la plupart des sociétés d'Extrême-Orient, où une convention de politesse impose l'emploi de périphrases ou de formes spéciales entre certains groupes d'individus, pour remplacer les références personnelles directes. Mais ces usages ne font que souligner la valeur des formes évitées ; c'est l'existence implicite de ces pronoms qui donne leur valeur sociale et culturelle aux substituts imposés par les relations de classe. 

Or ces pronoms se distinguent de toutes les désignations que la langue articule, en ceci : ils ne renvoient ni à un concept ni à un individu. 

Il n'y a pas de concept « je » englobant tous les je qui s'énoncent à tout instant dans les bouches de tous les locuteurs, au sens où il y a un concept « arbre » auquel se ramènent tous les emplois individuels de arbre. Le « je » ne dénomme donc aucune entité lexicale. Peut-on dire alors que je se réfère à un individu particulier ? Si cela était, ce serait une contradiction permanente admise dans le langage, et l'anarchie dans la pratique : comment le même terme pourrait-il se rapporter indifféremment à n'importe quel individu et en même temps l'identifier dans sa particularité ? On est en présence d'une classe de mots, les « pronoms personnels », qui échappent au statut de tous les autres signes du langage. A quoi donc je se réfère-t-il ? A quelque chose de très singulier, qui est exclusivement linguistique : je se réfère à l'acte de discours individuel où il est prononcé, et il en désigne le locuteur. C'est un terme qui ne peut être identifié que dans ce que nous avons appelé ailleurs une instance de discours, et qui n'a de référence qu'actuelle. La réalité à laquelle il renvoie est la réalité du discours. C'est dans l'instance de discours où je désigne le locuteur que celui-ci s'énonce comme « sujet ». Il est donc vrai à la lettre que le fondement de la subjectivité est dans l'exercice de la langue. Si l'on veut bien y réfléchir, on verra qu'il n'y a pas d'autre témoignage objectif de l'identité du sujet que celui qu'il donne ainsi lui-même sur lui-même. 

Le langage est ainsi organisé qu'il permet à chaque locuteur de s'approprier la langue entière en se désignant comme je. 

Les pronoms personnels sont le premier point d'appui pour cette mise au jour de la subjectivité dans le langage. De ces pronoms dépendent à leur tour d'autres classes de pronoms, qui partagent le même statut. Ce sont les indicateurs de la deixis, démonstratifs, adverbes, adjectifs, qui organisent les relations spatiales et temporelles autour du « sujet » pris comme repère : « ceci, ici, maintenant », et leurs nombreuses corrélations « cela, hier, l'an dernier, demain », etc. Ils ont en commun ce trait de se définir seulement par rapport à l'instance de discours où ils sont produits, c'est-à-dire sous la dépendance du je qui s'y énonce. 

Il est aisé de voir que le domaine de la subjectivité s'agrandit encore et doit s'annexer l'expression de la temporalité. Quel que soit le type de langue, on constate partout une certaine organisation linguistique de la notion de temps. Il importe peu que cette notion se marque dans la flexion d'un verbe ou par des mots d'autres classes (particules ; adverbes ; variations lexicales, etc.), c'est affaire de structure formelle. D'une manière ou d'une autre, une langue distingue toujours des « temps » ; que ce soit un passé et un futur, séparés par un « présent », comme en français ; ou un présent passé opposé à un futur, ou un présent-futur distingué d'un passé, comme dans diverses langues amérindiennes, ces distinctions pouvant à leur tour dépendre de variations d'aspect, etc. Mais toujours la ligne de partage est une référence au « présent ». Or ce « présent » à son tour n'a comme référence temporelle qu'une donnée linguistique : la coïncidence de l'événement décrit avec l'instance de discours qui le décrit. Le repère temporel du présent ne peut être qu'intérieur au discours. Le Dictionnaire général définit le « présent » comme « le temps du verbe qui exprime le temps où l'on est ». Mais prenons-y garde, il n'y a pas d'autre critère ni d'autre expression pour indiquer « le temps où l'on est » que de le prendre comme « le temps où l'on parle ». C'est là le moment éternellement « présent », quoique ne se rapportant jamais aux mêmes événements d'une chronologie « objective », parce qu'il est déterminé pour chaque locuteur par chacune des instances de discours qui s'y rapporte. Le temps linguistique est sui-référentiel. En dernière analyse la temporalité humaine avec tout son appareil linguistique dévoile la subjectivité inhérente à l'exercice même du langage. 

Le langage est donc la possibilité de la subjectivité, du fait qu'il contient toujours les formes linguistiques appropriées à son expression, et le discours provoque l'émergence de la subjectivité, du fait qu'il consiste en instances discrètes. Le langage propose en quelque sorte des formes « vides » que chaque locuteur en exercice de discours s'approprie et qu'il rapporte à sa « personne », définissant en même temps lui même comme je et un partenaire comme tu. L'instance de discours est ainsi constitutive de toutes les coordonnées qui définissent le sujet et dont nous n'avons désigné sommairement que les plus apparentes. 



L'installation de la « subjectivité » dans le langage crée, dans le langage et, croyons-nous, hors du langage aussi bien, la catégorie de la personne. Elle a en outre des effets très variés dans la structure même des langues, que ce soit dans l'agencement des formes ou dans les relations de la signification. Ici nous visons nécessairement des langues particulières, pour illustrer quelques effets du changement de perspective que la « subjectivité » peut introduire. Nous ne saurions dire quelle est, dans l'univers des langues réelles, l'extension des particularités que nous signalons ; pour l'instant, il est moins important de les délimiter que de les faire voir. Le français en donne quelques exemples commodes. 

D'une manière générale, quand j'emploie le présent d'un verbe aux trois personnes (selon la nomenclature traditionnelle), il semble que la différence de personne n'amène aucun changement de sens dans la forme verbale conjuguée. Entre je mange, et tu manges, et il mange, il y a ceci de commun et de constant que la forme verbale présente une description d'une action, attribuée respectivement, et de manière identique, à « je », à « tu », à « il ». Entre je souffre et tu souffres et il souffre, il y a pareillement en commun la description d'un même état. Ceci donne l'impression d'une évidence, déjà impliquée par l'alignement formel dans le paradigme de la conjugaison. 

Or nombre de verbes échappent à cette permanence du sens dans le changement des personnes. Ceux dont il va s'agir dénotent des dispositions ou des opérations mentales. En disant je souffre, je décris mon état présent. En disant je sens (que le temps va changer), je décris une impression qui m'affecte. Mais que se passera-t-il si, au lieu de je sens (que le temps va changer), je dis : je crois (que le temps va changer) ? La symétrie formelle est complète entre je sens et je crois. L'est-elle pour le sens ? Puis-je considérer ce je crois comme une description de moi-même au même titre que je sens ? Est-ce que je me décris croyant quand je dis je crois (que...) ? Sûrement non. L'opération de pensée n'est nullement l'objet de l'énoncé ; je crois (que...) équivaut à une assertion mitigée. En disant (je crois que...), je convertis en une énonciation subjective le fait asserté impersonnellement, à savoir le temps va changer, qui est la véritable proposition. 

Considérons encore les énoncés suivants : « Vous êtes, je suppose, Monsieur X... - Je présume que Jean a reçu ma lettre. — Il a quitté l'hôpital, d'où je conclus qu'il est guéri. » Ces phrases contiennent des verbes qui sont des verbes d'opération : supposer, présumer, conclure, autant d'opérations logiques. Mais supposer, présumer, conclure, mis à la première personne, ne se comportent pas comme font, par exemple, raisonner, réfléchir, qui semblent pourtant très voisins. Les formes je raisonne, je réfléchis me décrivent raisonnant, réfléchissant. Tout autre chose est je suppose, je présume, je conclus. En disant je conclus (que....), je ne me décris pas occupé à conclure ; que pourrait être l'activité de « conclure » ? Je ne me représente pas en train de supposer, de présumer, quand je dis je suppose, je présume. Ce que je conclus indique est que, de la situation posée, je tire un rapport de conclusion touchant un fait donné. C'est ce rapport logique qui est instauré en un verbe personnel. De même je suppose, je présume sont très loin de je pose, je résume. Dans je suppose, je présume, il y a une attitude indiquée, non une opération décrite. En incluant dans mon discours je suppose, je présume, j'implique que je prends une certaine attitude à l'égard de l'énoncé qui suit. On aura noté en effet que tous les verbes cités sont suivis de que et une proposition : celle-ci est le véritable énoncé, non la forme verbale personnelle qui la gouverne. Mais cette forme personnelle en revanche, est, si l'on peut dire, l'indicateur de subjectivité. Elle donne à l'assertion qui suit le contexte subjectif — doute, présomption, inférence — propre à caractériser l'attitude du locuteur vis-à-vis de l'énoncé qu'il profère. Cette manifestation de la subjectivité ne prend son relief qu'à la première personne. On n'imagine guère de pareils verbes à la deuxième personne sinon pour reprendre verbatim une argumentation : tu supposes qu'il est parti, ce qui n'est qu'une manière de répéter ce que « tu » vient de dire : « Je suppose qu'il est parti. » Mais que l'on retranche l'expression de la personne en ne laissant que : il suppose que..., et nous n'avons plus, au point de vue de je qui l'énonce, qu'une simple constatation. 

On discernera mieux encore la nature de cette « subjectivité » en considérant les effets de sens que produit le changement des personnes dans certains verbes de parole. Ce sont des verbes qui dénotent par leur sens un acte individuel de portée sociale : jurer, promettre, garantir, certifier, avec des variantes locutionnelles telles que s'engager à... se faire fort de... Dans les conditions sociales où la langue s'exerce, les actes dénotés par ces verbes sont regardés comme contraignants. Or ici, la différence entre l'énonciation « subjective » et l'énonciation « non subjective » apparaît en pleine lumière, dès qu'on s'est avisé de la nature de l'opposition entre les « personnes » du verbe. Il faut garder à l'esprit que la « troisième personne » est la forme du paradigme verbal (ou pronominal) qui ne renvoie pas à une personne, parce qu'elle se réfère à un objet placé hors de l'allocution. Mais elle n'existe et ne se caractérise que par opposition à la personne je du locuteur qui, l'énonçant, la situe comme « non-personne ». C'est là son statut. La forme il... tire sa valeur de ce qu'elle fait nécessairement partie d'un discours énoncé par « je ». 

Or je jure est une forme de valeur singulière, en ce qu'elle place sur celui qui s'énonce je la réalité du serment. Cette énonciation est un accomplissement : « jurer » consiste précisément en l'énonciation je jure, par quoi Ego est lié. L'énonciation je jure est l'acte même qui m'engage, non la description de l'acte que j'accomplis. En disant je promets, je garantis, je promets et je garantis effectivement. Les conséquences (sociales, juridiques, etc.) de mon jurement, de ma promesse, se déroulent à partir de l'instance de discours contenant je jure, je promets. L'énonciation s'identifie avec l'acte même. Mais cette condition n'est pas donnée dans le sens du verbe ; c'est la « subjectivité » du discours qui la rend possible. On verra la différence en remplaçant je jure par il jure. Alors que je jure est un engagement, il jure n'est qu'une description, au même plan que il court, il fume. On voit ici, dans des conditions propres à ces expressions, que le même verbe, suivant qu'il est assumé par un « sujet » ou qu'il est mis hors de la « personne », prend une valeur différente. C'est une conséquence de ce que l'instance de discours qui contient le verbe pose l'acte en même temps qu'elle fonde le sujet. Ainsi l'acte est accompli par l'instance d'énonciation de son « nom » (qui est « jurer»), en même temps que le sujet est posé par l'instance d'énonciation de son indicateur (qui est « je »). 

Bien des notions en linguistique, peut-être même en psychologie, apparaîtront sous un jour différent si on les rétablit dans le cadre du discours, qui est la langue en tant qu'assumée par l'homme qui parle, et dans la condition d'intersubjectivité, qui seule rend possible la communication linguistique. 

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