Le Traité sur les parties des animaux (330 av. J.-C.) est un traité de biologie composé de quatre livre que l'on doit à Aristote (384-322 av. J.-C.). Il classifie les animaux et critique les positions antiques, notamment platoniciennes, concernant l'étude du vivant. Il établit que la nature agit en cherchant à équilibrer les forces et les faiblesses de chaque espèce afin que l'une ne prenne pas l'ascendant sur l'autre. Cette conception est fixiste, c'est-à-dire non-évolutionniste : le cadre naturel est posé une fois pour toute. Sur le plan anatomique toutefois, les observations d'Aristote sont souvent pertinentes.
Le texte ci-dessous est tiré du chapitre V du premier livre. Dans les quatre chapitres qui précèdent, Aristote présente sa méthode de classification des espèces qui consiste à procéder par la voie de la catégorisation par genre et non pas par division comme le préconise Platon, car cela ne permet pas de descendre jusqu'aux individus et conduit à séparer des animaux semblables pour les mettre avec des dissemblables. Dans le chapitre V, Aristote commence par distinguer deux types d'être : ceux qui sont impérissables et ceux qui naissent puis périssent. C'est dans ce dernier type que se classe le vivant (plantes et animaux), qu'il nous est plus aisé à connaître puisque nous vivons dans leur proximité. Il en vient ainsi à considérer pourquoi cette étude du vivant ne doit négliger aucun détail, aussi peu relevé soit-il.
Aristote rapporte l'anecdote suivante : Héraclite se réchauffe au feu de sa cuisine et invite des étrangers à le rejoindre. Or ces derniers "hésit[ent] à entrer". Les moeurs antiques nécessitent qu'on accueille les visiteurs à l'hestia, foyer de la maison, lieu sacré où les dieux sont présents, alors qu'Héraclite se trouve près du four dans sa cuisine. C'est la raison pour laquelle il indique aux visiteurs : "entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine". Il n'est pas toujours aisé de bien comprendre ces moeurs antiques. D'autres interprètes avancent l'idée qu'ici Héraclite serait en train de déféquer, ce qui rendrait compte du dégoût de manière plus compréhensible pour nous ("être au fourneau" serait une expression métaphorique). Quoiqu'il en soit, cette action devait dégoûter les visiteurs puisque l'objectif d'Aristote, par cette anecdote, est de rappeler qu'il y a de la beauté en chaque espèce animale et qu'il faut donc dépasser son propre dégoût pour trouver en elle "de la nature et de la beauté".
A quoi tient cette beauté du vivant ? Aristote répond qu'elle tient à sa finalité : "ce n'est pas le hasard, mais la finalité qui règne dans les oeuvres de la nature". Cette position théorique s'appelle le finalisme. Elle revient à poser l'existence d'une finalité à l'oeuvre dans la nature. Dans cette optique, il faut rechercher ce pour quoi une chose est faite, en saisir la fin, la cause finale qui est, pour Aristote, la cause par excellence (il en distingue quatre en tout : cause finale, cause efficiente, cause matérielle, cause formelle). Le finalisme recourt à l'analogie de l'artisan : la nature opère comme un artisan, c'est-à-dire qu'elle façonne les êtres vivants en vue d'une finalité. C'est la saisie de cette finalité qui apporte une satisfaction esthétique car elle permet de reprendre le point de vue du créateur.
Par conséquent, il convient de rejeter une méthode d'étude des espèces reposant sur l'idée que certains vivants seraient nobles et d'autres ne seraient pas dignes d'intérêt. Le scientifique est celui qui cherche à vaincre "une grande répugnance", celle qui est liée à la peur, par exemple celle que pourrait susciter la vue du sang. Si on se met à rejeter tel ou tel objet parce qu'on est dégoûté ou parce qu'on ne le juge pas digne d'intérêt, alors on n'avance pas dans la connaissance. Aristote compare justement les parties du corps qui peuvent nous répugner et les espèce animales qui peuvent nous dégoûter. Il ne faut pas s'arrêter à cette vue subjective, mais chercher un point de vue plus global, celui de l'espèce ou de la nature.
Pour Aristote, la partie ou l'organe du vivant ne s'identifie pas au vivant considéré en tant que tel. C'est pourquoi, il est un principe de méthode de "s'attacher à la forme totale" et ne pas confondre la matière étudiée avec le but de la recherche. Bien sûr, le biologiste ne doit pas privilégier une partie plutôt qu'une autre, il doit les observer toutes. Mais il aura aussi toujours soin de considérer l'ensemble composé. L'analogie avec la maison permet de comprendre cette idée : si l'on étudie une maison, il ne faut pas considérer chaque élément comme une fin en soi, mais les réintégrer dans un ensemble plus large qui est la maison elle-même et dont le but est de constituer un abri. Il en va de même pour l'étude de la nature : il faut toujours s'attacher à garder un oeil sur "la substance intégrale", c'est-à-dire sur le composé assemblé de ses éléments et non sur telle ou telle partie. Le finalisme aristotélicien est donc aussi un vitalisme dans la mesure où Aristote insiste sur l'importance de considérer le tout du vivant et pas seulement le fonctionnement des parties.
"En toutes les parties de la Nature, il y a des merveilles ; on dit qu'Héraclite, à des visiteurs étrangers qui, l'ayant trouvé se chauffant au feu de sa cuisine, hésitaient à entrer, fit cette remarque : « Entrez, il y a des dieux aussi dans la cuisine. » Eh bien, de même, entrons sans dégoût dans l'étude de chaque espèce animale : en chacune, il y a de la nature et de la beauté.
Ce n'est pas le hasard, mais la finalité qui règne dans les oeuvres de la nature, et à un haut degré ; or, la finalité qui régit la constitution ou la production d'un être est précisément ce qui donne lieu à la beauté.
Ce n'est pas le hasard, mais la finalité qui règne dans les oeuvres de la nature, et à un haut degré ; or, la finalité qui régit la constitution ou la production d'un être est précisément ce qui donne lieu à la beauté.
Et si quelqu'un trouvait méprisable l'étude des autres animaux, il lui faudrait aussi se mépriser lui-même, car ce n'est pas sans avoir à vaincre une grande répugnance qu'on peut saisir de quoi se compose le genre Homme, sang, chair, os, veines, et autres parties comme celles-là.
De même, quand on traite d'une partie ou d'un organe quelconques, il faut garder dans l'esprit qu'on ne doit pas seulement faire mention de la matière et voir là le but de la recherche, mais qu'on doit s'attacher à la forme totale ; ainsi considère-t-on une maison tout entière et non pas seulement les briques, le mortier, les bois. Pareillement, dans l'étude de la Nature, c'est la synthèse, la substance intégrale qui importent, et non des éléments qui ne se rencontrent pas séparés de ce qui fait leur substance."
- Aristote, Traité sur les parties des animaux, Livre I, Chapitre 5, 645a 16-36, trad. de J.-M. Le Blond, Paris, Aubier-Montaigne, 1945, p. 119.
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