Commentaire
Les Politiques (ou La Politique dans certaines traductions) est un traité en huit livres d'Aristote (384-322 av. J.-C.) dont l'objet est d'analyser ce qui relève de la cité (polis en grec). Il ne s'agit pas d'un traité politique ainsi que peuvent l'être Le Prince de Machiavel ou L'Esprit des Lois de Montesquieu, l'ouvrage étant vraisemblablement constitué de notes distinctes destinées à un enseignement oral et rassemblés par la suite par des éditeurs. Aristote y juge toutefois la politique comme "la plus haute de toutes les sciences" dont l'objectif est d'établir le bien de tous au moyen de la justice (Livre III, chapitre 7).
Le texte ci-dessous se trouve au chapitre 2 du livre I. Dans ce livre, Aristote commence par affirmer que les hommes s'associent en vue d'un bien et que la cité (ou la communauté civique, ce que l'on pourrait appeler de nos jours l'Etat) réalise ce bien souverainement. Une cité est composée de villages, eux-mêmes composés de familles qui comprennent le père qui en est le chef, l'épouse, les enfants, les esclaves et les biens. Cette association en différentes communautés est naturelle pour Aristote car elles ont toutes pour fin d'assurer la vie, mais parmi elles, il valorise surtout la cité qui seule permet de procurer l'autosuffisance (autarkeia) à un groupe humain.
Aristote estime que l'association en cité, c'est-à-dire la vie sociale, "fait partie des choses naturelles", c'est dire donc qu'elle est dans la nature de l'homme. Il en tire la conclusion en définissant l'homme en tant qu'"animal politique", c'est-à-dire un animal dont la spécificité est de vivre dans la polis, dans une cité, ou pour le dire avec le vocabulaire d'aujourd'hui : en société. Pour cette raison, on peut trouver parfois, selon les traductions de ce passage, "animal social" ou "animal civique". Il faut donc prendre le mot politique dans son sens étymologique : est politique ce qui à trait à la polis, à la cité.
Naturellement donc l'homme n'est pas fait pour vivre seul. Par conséquent, "celui qui est hors cité" est un être sans foi ni loi nous dit Aristote qui reprend l'expression d'Homère. Mais il ajoute que "l'homme est un animal politique plus que n'importe quelle abeille" et même plus que tout autre animal qui vit en troupeau. De tous les animaux dont il fait partie, l'homme serait ainsi le plus politique d'entre eux. Pourquoi ?
Aristote explique que c'est parce que "seul parmi les animaux l'homme a un langage". En effet, le langage (en grec logos qui signifie aussi raison) chez l'homme ne se réduit pas à la communication : d'autres animaux ont cette capacité de signifier par des sons ou divers signes qu'ils ressentent de la joie, de la peur ou de la douleur. Mais la spécificité du langage humain est qu'il permet de discuter des valeurs : de ce qui est bien ou mal, du juste ou de l'injuste.
Or la cité se trouve traversée de part en part par ces discussions : en dissertant sur nos visions propres du vivre-ensemble, nous constituons par la même occasion un espace politique commun. C'est en cela que la cité constitue une forme d'association qui permet mieux que les autres d'assurer la vie en commun car la famille ou le village sont des communautés où le chef domine, c'est-à-dire donc où le débat n'a pas lieu entre égaux, contrairement à ce qui se passe dans la cité grecque entre les citoyens.
Ainsi, loin de définir l'homme comme un animal politique au sens d'une bête brute prête à tout pour réussir dans ses entreprises - ce qui serait une vision assez proche de celle que l'on a habituellement de l'homme politique aujourd'hui - la définition d'Aristote invite à considérer l'homme comme celui qui vit en société parce qu'il est doué d'un langage lui permettant d'échanger rationnellement sur les conceptions du juste ou du bien. Hannah Arendt pense très certainement à cette phrase d'Aristote lorsqu'elle écrit dans ses Vies politiques : "nous humanisons ce qui se passe dans le monde en nous parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humain".
Texte
"Il est manifeste, à partir de cela, que la cité fait partie des choses naturelles, et que l’homme est un animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard < des circonstances > est soit un être dégradé soit un être surhumain, et il est comme celui qui est injurié en ces termes par Homère : "sans lignage, sans loi, sans foyer" [Iliade, IX, 63].
Car un tel homme est du coup naturellement passionné de guerre, étant comme un pion isolé au jeu de tric trac. C’est pourquoi il est évident que l’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l’homme a un langage (logos). Certes la voix est le signe du douloureux et de l’agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu’au point d’éprouver la sensation du douloureux et de l’agréable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite le juste et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres < notions de ce genre >. Or avoir de telles < notions > en communs c’est ce qui fait une famille et une cité."
- Aristote, Les Politiques, I, 2, 1253a9-1253a12, trad. P. Pellegrin, GF-Flammarion, 1990, p. 90-92.
Le texte intégral est disponible ici.
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