Le Théétète (vers 368 av. J.-C), sous titré Sur la science, est un dialogue de Platon (428-348 av. J-C.) de la période de maturité. Il met en scène Socrate et deux mathématiciens Théodore et Théétète, ce dernier donnant son nom au dialogue. Son objet est la connaissance. Il s'ouvre sur une critique du relativisme sensualiste du sophiste Protagoras. Le relativisme consiste à nier la possibilité d'atteindre une vérité universelle, valable pour tous et affirme que chacun est la mesure de sa propre vérité. Ce relativisme est sensualiste parce qu'il fait dépendre la connaissance des sensations.
Le texte ci-dessous constitue une discussion de l'affirmation du sophiste Protagoras mentionnée un peu plus haut en 160d : "l'homme est la mesure de toute chose". Par là, Protagoras veut dire que l'homme juge des choses qui l'entourent en fonction de ce qu'il est. Ainsi l'âge, la fatigue, ou tout autre critère tenant à l'individualité d'une personne, vont avoir une influence sur ses jugements. La conséquence est qu'il n'existe pas de vérité unique, mais autant de vérités que de personnes qui les énoncent.
Socrate ironise sur cette théorie de Protagoras exposée dans son livre intitulé Sur la vérité. Il raille en affirmant que Protagoras aurait pu remplacer "l'homme est mesure de toute chose" par "le pourceau" ou "le cynocéphale" (espèce de singe dont font partie les babouins) ou même "quelque être encore plus bizarre" du moment qu'ils sont "capables de sensation". En effet, l'essentiel de la critique platonicienne porte sur l'assimilation de la connaissance à la sensation. Si l'on dit, comme Protagoras, que la vérité dépend des sensations et que donc chacun possède sa vérité, alors pourquoi ne pas dire que tout animal a aussi sa propre vérité ? De ce point de vue, les jugements des cochons et des babouins vaudraient bien ceux des hommes, ce qui est une insulte faite à l'humanité.
La conséquence de cette affirmation est qu'il est paradoxal de qualifier Protagoras de sage alors que la vérité qu'il prétend enseigner ne le place finalement pas au-dessus de l'intelligence de la grenouille. Si chacun est le meilleur juge de sa vérité en fonction de ce qu'il ressent, alors il n'existe personne "plus en état qu'un autre de se prononcer sur ce qu'éprouve son semblable, ni plus habile à discerner la vérité ou la fausseté d'une opinion". Il n'existe plus de possibilité d'enseigner une doctrine puisqu'elle n'est vraie que pour celui qui l'énonce. Autrement dit, le relativisme en célébrant la multiplicité des vérités finit en réalité par tuer la vérité, y compris celle - ultime paradoxe - que prétend énoncer Protagoras en affirmant que l'homme est mesure de toute chose. D'où cette question de Socrate : "Peut-on ne pas dire que Protagoras n'a parlé de la sorte que pour se moquer ?"
On pourrait toutefois juger que le relativisme n'énonce finalement qu'une seule vérité : celle de la relativité de la vérité. Mais dans cette hypothèse, la maïeutique, c'est-à-dire l'art d'accoucher les esprits que Socrate utilise, devient inutile. Pourtant cette méthode n'enseigne aucune vérité (cf. dans l'Apologie de Socrate, Platon fait dire à Socrate en 21d : "je sais que je ne sais rien" ; cette idée est également reprise dans le Ménon en 80d). Comme Socrate l'explique plus en amont dans le dialogue, il est le fils d'une sage-femme, Phénarète, (149a) et il recourt aux questionnements afin d'aider non pas les corps, mais les âmes, à accoucher de la connaissance dont elles sont porteuses sans le savoir (150b). Or dans le système relativiste, "ce talent est souverainement ridicule", car les âmes accoucheraient d'une vérité qui est propre à celui qui la découvre et sur laquelle Socrate n'aurait pas prise. L'un des critères de la vérité est donc l'accord des interlocuteurs. Si c'est à chacun sa vérité, il n'y a plus de discussion possible.
Dans le système relativiste, non seulement la maïeutique devient ridicule, mais la dialectique aussi. Il s'agit de l'art de discuter par demandes et réponses pour parvenir aux Idées, donc dans la philosophie platonicienne à la définition de ce que sont les choses. Or comme le souligne Socrate, c'est "une extravagance insigne d'entreprendre d'examiner et de réfuter réciproquement ses idées et ses opinions" si on admet qu'"elles sont toutes vraies pour chacun". Il faut comprendre que la vérité au sens platonicien ne se résume pas à un jugement subjectif sur ce que sont les choses, mais qu'elle se définit comme la possibilité de rendre compte des choses indépendamment du sujet qui les pense, à la manière des vérités mathématiques (2 + 2 = 4 est vrai quelle que soit la personne qui calcule). Les autres critères de la vérité sont donc à la fois l'universalité des propositions, mais aussi la possibilité des les examiner, voire de les réfuter.
Le texte ci-dessous constitue une discussion de l'affirmation du sophiste Protagoras mentionnée un peu plus haut en 160d : "l'homme est la mesure de toute chose". Par là, Protagoras veut dire que l'homme juge des choses qui l'entourent en fonction de ce qu'il est. Ainsi l'âge, la fatigue, ou tout autre critère tenant à l'individualité d'une personne, vont avoir une influence sur ses jugements. La conséquence est qu'il n'existe pas de vérité unique, mais autant de vérités que de personnes qui les énoncent.
Socrate ironise sur cette théorie de Protagoras exposée dans son livre intitulé Sur la vérité. Il raille en affirmant que Protagoras aurait pu remplacer "l'homme est mesure de toute chose" par "le pourceau" ou "le cynocéphale" (espèce de singe dont font partie les babouins) ou même "quelque être encore plus bizarre" du moment qu'ils sont "capables de sensation". En effet, l'essentiel de la critique platonicienne porte sur l'assimilation de la connaissance à la sensation. Si l'on dit, comme Protagoras, que la vérité dépend des sensations et que donc chacun possède sa vérité, alors pourquoi ne pas dire que tout animal a aussi sa propre vérité ? De ce point de vue, les jugements des cochons et des babouins vaudraient bien ceux des hommes, ce qui est une insulte faite à l'humanité.
La conséquence de cette affirmation est qu'il est paradoxal de qualifier Protagoras de sage alors que la vérité qu'il prétend enseigner ne le place finalement pas au-dessus de l'intelligence de la grenouille. Si chacun est le meilleur juge de sa vérité en fonction de ce qu'il ressent, alors il n'existe personne "plus en état qu'un autre de se prononcer sur ce qu'éprouve son semblable, ni plus habile à discerner la vérité ou la fausseté d'une opinion". Il n'existe plus de possibilité d'enseigner une doctrine puisqu'elle n'est vraie que pour celui qui l'énonce. Autrement dit, le relativisme en célébrant la multiplicité des vérités finit en réalité par tuer la vérité, y compris celle - ultime paradoxe - que prétend énoncer Protagoras en affirmant que l'homme est mesure de toute chose. D'où cette question de Socrate : "Peut-on ne pas dire que Protagoras n'a parlé de la sorte que pour se moquer ?"
On pourrait toutefois juger que le relativisme n'énonce finalement qu'une seule vérité : celle de la relativité de la vérité. Mais dans cette hypothèse, la maïeutique, c'est-à-dire l'art d'accoucher les esprits que Socrate utilise, devient inutile. Pourtant cette méthode n'enseigne aucune vérité (cf. dans l'Apologie de Socrate, Platon fait dire à Socrate en 21d : "je sais que je ne sais rien" ; cette idée est également reprise dans le Ménon en 80d). Comme Socrate l'explique plus en amont dans le dialogue, il est le fils d'une sage-femme, Phénarète, (149a) et il recourt aux questionnements afin d'aider non pas les corps, mais les âmes, à accoucher de la connaissance dont elles sont porteuses sans le savoir (150b). Or dans le système relativiste, "ce talent est souverainement ridicule", car les âmes accoucheraient d'une vérité qui est propre à celui qui la découvre et sur laquelle Socrate n'aurait pas prise. L'un des critères de la vérité est donc l'accord des interlocuteurs. Si c'est à chacun sa vérité, il n'y a plus de discussion possible.
Dans le système relativiste, non seulement la maïeutique devient ridicule, mais la dialectique aussi. Il s'agit de l'art de discuter par demandes et réponses pour parvenir aux Idées, donc dans la philosophie platonicienne à la définition de ce que sont les choses. Or comme le souligne Socrate, c'est "une extravagance insigne d'entreprendre d'examiner et de réfuter réciproquement ses idées et ses opinions" si on admet qu'"elles sont toutes vraies pour chacun". Il faut comprendre que la vérité au sens platonicien ne se résume pas à un jugement subjectif sur ce que sont les choses, mais qu'elle se définit comme la possibilité de rendre compte des choses indépendamment du sujet qui les pense, à la manière des vérités mathématiques (2 + 2 = 4 est vrai quelle que soit la personne qui calcule). Les autres critères de la vérité sont donc à la fois l'universalité des propositions, mais aussi la possibilité des les examiner, voire de les réfuter.
Texte
"- SOCRATE : Sais-tu, Théodore, ce qui m’étonne dans ton ami Protagoras ? [161c]
- THÉODORE : Quoi donc ?
- SOCRATE : J’ai été fort content de tout ce qu’il dit ailleurs, pour prouver que chaque chose est ce qu’elle paraît à chacun ; mais j’ai été étonné qu’au commencement de sa Vérité, il n’ait pas dit que le pourceau, le cynocéphale, ou quelque être encore plus bizarre, capable de sensation, est la mesure de toutes choses. C’eût été là un début magnifique et tout à fait insultant pour notre espèce, par lequel il nous eût donné à entendre que, tandis que nous l’admirons comme un dieu pour sa sagesse, il ne l’emporte pas en intelligence, je ne dis point sur un autre homme, mais sur une grenouille gyrine. Que dire en effet, Théodore ? Si les opinions qui se forment en nous par le moyen des sensations, sont vraies pour chacun ; si personne n’est plus en état qu’un autre de se prononcer sur ce qu’éprouve son semblable, ni plus habile à discerner la vérité ou la fausseté d’une opinion ; si au contraire, comme il a souvent été dit, chacun juge uniquement ce qui se passe en lui, et si tous ses jugements sont droits et vrais : pourquoi, mon cher ami, Protagoras serait-il savant, au point de se croire en droit d’enseigner les autres, [161e] et de mettre ses leçons à un si haut prix, et nous des ignorants condamnés à aller à son école, chacun étant à soi-même la mesure de sa propre sagesse ? Peut-on ne pas dire que Protagoras n’a parlé de la sorte que pour se moquer ? Je me tais sur ce qui me regarde, et sur mon talent de faire accoucher les esprits : dans son système, ce talent est souverainement ridicule ; aussi bien, ce me semble, que tout l’art de la dialectique. Car, n’est-ce pas une extravagance insigne d’entreprendre d’examiner et de réfuter réciproquement ses idées et ses opinions, [162a] tandis qu’elles sont toutes vraies pour chacun, si la vérité de Protagoras est bien la vérité, et si ce n’est pas en badinant que du sanctuaire de son livre elle nous a dicté ses oracles ?
- Platon, Théétète, 161c-162a, trad. V. Cousin (disponible en ligne ici).
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