Le texte commenté est connu sous le nom d'analogie de la Ligne. Il est extrait du Livre VI de La République et se situe juste avant l'allégorie de la caverne qui se trouve au Livre VII. Platon expose sa théorie de la connaissance qui consiste à séparer les êtres sensibles des êtres intelligibles. Les êtres sensibles se subdivisent en deux catégories : les images et les objets ; les êtres intelligibles également : les objets hypothétiques (mathématiques) et les Idées. Ces divisions se font "d'après leur degré relatif de clarté ou d'obscurité".
Platon commence par distinguer deux genres :
- le "genre visible" : il renvoie au monde dans lequel vit l'homme, qui est le monde des apparences ;
- le "genre intelligible" : c'est ce qui est réel pour Platon et qui existe au-delà du sensible, mais qu'on ne peut appréhender que par l'intellect.
Dans la première partie du texte, Platon traite du "monde visible" qu'il distingue en deux segments :
- les images : ce sont les ombres et les reflets des choses ;
- les objets : les animaux, les plantes et les ouvrages de l'art.
Platon précise que la division entre visible et intelligible se fait selon une analogie : l'image est à l'objet ce que l'opinion est à la science. Cela signifie que l'opinion ressemble à la science, mais qu'elle n'en est que le reflet. Par conséquent, l'opinion ne saisit de l'objet que son image et non pas sa réalité. Qu'est-ce que la réalité ? Platon répond ensuite en analysant l'autre genre.
Dans la seconde partie du texte, Platon s'intéresse en effet au "monde intelligible". Il le distingue à son tour en deux segments :
- les objets mathématiques : la pensée part d'hypothèses, elle se sert "comme autant d'images, des originaux du monde visible" et aboutit à une conclusion ;
- les Idées : la pensée part d'une hypothèse mais sans se servir "des images utilisées dans le premier cas" et aboutit à un principe anhypothétique "à l'aide des seules idées prises en elles-mêmes".
A ces quatre segments distingués dans l'analogie de la ligne correspondent quatre degrés de connaissance :
- l'illusion : elle correspond aux images et aux reflets ;
- la croyance : elle correspond aux objets du monde visible ;
- la pensée discursive ou dianoétique : elle consiste à tirer une proposition d'une autre par une série de raisonnements successifs (opposé à intuitifs) ;
- la pensée noétique ou dialectique : elle consiste à rejeter les hypothèses pour parvenir, par paliers, à une intuition, à l'Idée (au sens platonicien) qui correspond à l'essence de la chose considérée.
En plus d'être une théorie de la connaissance, l'analogie de la Ligne est donc aussi une théorie de la science : elle permet de tracer une délimitation entre science et opinion, seuls les mathématiques et la philosophie ont accès à la réalité, alors que l'opinion n'a affaire qu'à l'image des choses, les choses étant, dans l'esprit de Platon, que des images de l'Idée.
Faut-il pour autant conclure que Platon sépare radicalement science et expérience ? Non, car l'image de la ligne suggère davantage une continuité qu'une discontinuité : pour accéder aux Idées, il est nécessaire de partir de l'expérience sensible, de remonter ainsi des images aux objets, puis des objets au concept mathématique, et enfin du concept mathématique aux Idées. Cette remontée également suggérée dans l'allégorie de la caverne. Il reste cependant que la dialectique ne se déploie que dans les idées prises en soi, donc sans secours de l'expérience sensible.
Texte
"- Socrate : Prends donc une ligne coupée en deux segments inégaux, l'un représentant le genre visible, l'autre le genre intelligible, et coupe de nouveau chaque segment suivant la même proportion ; tu classeras alors les divisions obtenues d'après leur degré relatif de clarté ou d'obscurité. Dans le monde visible un premier segment, celui des images - j'appelle images d'abord les ombres, ensuite les reflets que l'on voit dans les eaux, ou à la surface des corps opaques, polis et brillants, et toutes les représentations semblables ; le second segment correspond aux objets que ces images représentent, j'entends les animaux qui nous entourent, les plantes, et tous les ouvrages de l'art. Je le pose. Consens-tu aussi à dire, demandai-je, que, sous le rapport de la vérité et de son contraire, la division a été faite de telle sorte que l'image est à l'objet qu'elle reproduit comme l'opinion est à la science ?
– Adimante : J'y consens fort bien.
Socrate : Pose maintenant que le second segment correspond aux objets que ces images représentent j'entends les animaux qui nous entourent, les plantes et tous les ouvrages de l'art.
- Adimante : Je le pose.
- Socrate : Consens-tu aussi à dire, demandai je, que, sous le rapport de la vérité et de son contraire, la division a été faite de telle sorte que l'image est à l'objet qu'elle reproduit comme l'opinion est à la science ?
- Adimante : J'y consens fort bien.
- Socrate : Examine à présent comment il faut diviser le monde intelligible.
- Adimante : Comment ?
- Socrate : De telle sorte que pour atteindre l'une de ses parties l'âme soit obligée de se servir, comme d'autant d'images, des originaux du monde visible, procédant à partir d'hypothèses, non pas vers un principe, mais vers une conclusion ; tandis que pour atteindre l'autre - qui aboutit à un principe anhypothétique - elle devra, partant d'une hypothèse, et sans le secours des images utilisées dans le premier cas, conduire sa recherche à l'aide des seules idées prises en elles-mêmes."
- Platon, La République, Livre VI, 509d-510b, trad. R. Baccou, GF, 1992, p. 267-268.
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