vendredi 13 mai 2016

"Savoir c'est connaître par le moyen de la démonstration"

Commentaire 

Les Seconds Analytiques d'Aristote (384-322 av. J.-C) font partie de l'Organon, oeuvre consacrée à la logique formelle et qui comprend six ouvrages : Catégories, De l'interprétation, Premiers et Seconds Analytiques, Topiques et Réfutations sophistiques. Alors que les Premiers Analytiques ont pour sujet le syllogisme d'un point de vue formel, les Seconds portent sur son application pratique. 

Dans le texte ci-dessous, Aristote livre une définition du savoir et de la démonstration : "savoir c'est connaître par le moyen de la démonstration" et "par démonstration j'entends le syllogisme scientifique", ce type de syllogisme permettant d'obtenir une "connaissance scientifique". Le syllogisme étant un raisonnement permettant d'établir une causalité, Aristote affirme par conséquent que nous connaissons une chose seulement lorsque nous connaissons sa cause. 

Selon Aristote, la démonstration renvoie à l'utilisation d'un type particulier de syllogisme : le syllogisme scientifique. Un syllogisme est un raisonnement formel partant de deux prémisses (une prémisse majeure A et une prémisse mineure B) et établissant, à partir d'elles, une conclusion nécessaire (C). Le plus célèbre des syllogismes est le suivant : 
  • (A) Tous les hommes sont mortels ;
  • (B) Or Socrate est un homme ;
  • (C) Donc Socrate est mortel.

Le syllogisme consiste à partir d'une règle générale (tous les hommes sont mortels) pour l'appliquer à un cas particulier (Socrate). Pour pouvoir faire le lien entre la règle générale et le cas particulier, il est nécessaire d'avoir un terme commun : homme. Il s'agit du moyen terme. Le moyen terme est le terme qui permet de faire le lien entre la règle et le cas. Dans le syllogisme, il est la cause : c'est parce que Socrate est un homme qu'il est mortel. Par ailleurs, en logique, on appelle le sujet de la conclusion le petit terme (Socrate) et son prédicat le grand terme (mortel). 

La condition pour qu'un syllogisme soit scientifique pour Aristote est que ses prémisses "soient vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures à elles, et dont elles sont les causes". Ces conditions permettent de faire la différence entre le syllogisme scientifique et d'autres types de syllogisme qui en imitent la structure logique, mais qui ne sont pas des connaissances. Le syllogisme dialectique, par exemple, part de prémisses qui sont seulement probables et le syllogisme rhétorique n'a pour fin que de persuader un auditoire en donnant à la déduction une apparence de vérité. Au contraire, le syllogisme scientifique a pour objet la vérité. 

Pour qu'il y ait démonstration, le syllogisme doit donc remplir un certain nombre de conditions, sinon il ne démontre pas, c'est-à-dire qu'il ne permet pas d'établir la vérité d'une proposition à partir d'autres propositions évidentes. Selon Aristote, ces conditions sont les suivantes : 
  • la vérité des prémisses ;
  • la primauté et l'indémontrabilité des prémisses : cette condition évite de remonter à l'infini la chaîne des démonstrations, il faut nécessairement partir d'une évidence première ;
  • la causalité de la conclusion : les prémisses doivent être les causes de la conclusion, la connaissance de la cause d'une chose étant ce qui permet d'avoir la science de cette chose ;
  • l'antériorité : elle découle de l'idée de causalité, mais surtout les prémisses doivent permettre de savoir ce qu'est la chose. 

On voit ainsi que le syllogisme scientifique ou la démonstration, les deux sont synonymes pour Aristote, ne permettent en aucun cas de découvrir des choses nouvelles : tout est déjà présent dans les prémisses elles-mêmes. La démonstration ne constitue que le déroulement ou la mise en forme de ce qui était déjà contenu dans les propositions posées au départ.

Texte

"La question de savoir s'il existe encore un autre mode de connaissance sera examinée plus tard. Mais ce que nous appelons ici savoir c'est connaître par le moyen de la démonstration. Par démonstration j'entends le syllogisme scientifique, et j'appelle scientifique un syllogisme dont la possession même constitue pour nous la science. – Si donc la connaissance scientifique consiste bien en ce que nous avons posé, il est nécessaire aussi que la science démonstrative parte de prémisses qui soient vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures à elles, et dont elles sont les causes.

C'est à ces conditions, en effet, que les principes de ce qui est démontré seront aussi appropriés à la conclusion. Un syllogisme peut assurément exister sans ces conditions, mais il ne sera pas une démonstration, car il ne sera pas productif de science. Les prémisses doivent être vraies, car on ne peut pas connaître ce qui n'est pas, par exemple la commensurabilité de la diagonale. Elles doivent être premières et indémontrables, car autrement on ne pourrait les connaître faute d'en avoir la démonstration, puisque la science des choses qui sont démontrables, s'il ne s'agit pas d'une science accidentelle, n'est pas autre chose que d'en posséder la démonstration. Elles doivent être causes de la conclusion, être plus connues qu'elle, et antérieures à elle : causes, puisque nous n'avons la science d'une chose qu'au moment où nous avons connu la cause ; antérieures, puisqu'elles sont causes ; antérieures aussi au point de vue de la connaissance, cette pré-connaissance ne consistant pas seulement à comprendre de la seconde façon que nous avons indiquée, mais encore à savoir que la chose est."

- Aristote, Seconds analytiques, I, 2, 71b 16, Vrin, trad. J. Tricot.

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