samedi 14 mai 2016

"Avoir une certitude égale à celle des démonstrations de l'arithmétique et de la géométrie"

Commentaire

Achevées en 1628 mais publiées à titre posthume en 1701, les Règles pour la direction de l'esprit sont écrites par Descartes (1596-1650) en latin. Elles sont au nombre de vingt-et-une. Elles lui permettent de s'affranchir de l'érudition scolastique et de poser les nouveaux principes de sa méthode pour découvrir le vrai. Mais elles affirment surtout son universalité : ces règles ont vocation à s'appliquer à tous les domaines du savoir, y compris à celui de la métaphysique. S'inspirant de la méthode mathématique, leur objectif est moins de l'étendre à toutes les disciplines que de parvenir dans chacune au même degré de certitude.

Le texte ci-dessous se situe à la fin de la Règle II. Cette règle a pour titre : "Il ne faut s'occuper que des objets dont notre esprit paraît capable d'acquérir une connaissance certaine et indubitable". Descartes estime qu'il vaut mieux ne jamais étudier que de s'occuper d'objets trop difficiles où il est impossible de distinguer le vrai du faux. Cette réflexion l'amène à écarter toutes les connaissances qui ne sont que probables et à reconnaître que, parmi les sciences de son époque, les seules à être exemptes de fausseté et d'incertitude sont l'arithmétique et la géométrie.

Pour Descartes, deux chemins permettent de parvenir à la connaissance : l'expérience et la déduction. Or il observe que l'erreur ne vient généralement pas de mauvais raisonnements, mais d'une mauvaise compréhension des expériences. C'est pour cette raison que "l'arithmétique et la géométrie sont beaucoup plus certaines que les autres sciences" car "elles seules traitent d'un objet assez pur et simple pour n'admettre absolument rien que l'expérience ait rendu incertain". La force des mathématiques est justement que leur objet est "pur et simple" : il s'agit du nombre, de l'ordre, de la mesure. L'expérience n'entre pas dans les chaînes de déduction de ces disciplines.

Si les erreurs commises par de mauvais raisonnements sont possibles "par inattention", les erreurs commises suite à une mauvaise compréhension des expériences sont elles beaucoup plus courantes. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille supprimer le recours à l'expérience dans les autres domaines tels que la physique par exemple : Descartes cherche justement à faire progresser cette discipline en réalisant des expériences. Simplement, au lieu de rester prisonnier comme le sont de nombreux autres scientifiques de son époque du modèle explicatif aristotélicien de la nature, Descartes défend un rapprochement de la physique avec la mathématique, cette dernière garantissant un savoir reposant uniquement sur le recours à la raison et qui ne se mêle pas avec la sensation ou l'imagination.

Malgré cette clarté propre aux mathématiques, Descartes observe que "beaucoup d'esprits s'appliquent plutôt à d'autres études ou à la philosophie". La raison en est simple : il est plus facile de faire des conjectures sur des questions difficiles, que de parvenir à la vérité sur une question facile. Cette préférence, nous dit Descartes, se fait "spontanément", c'est-à-dire sans y penser, sans méthode. Ces esprits font donc plus confiance à la "divination", c'est-à-dire à des savoirs occultes et mystérieux, qu'à la progression rigoureuse par raisonnements successifs. Ils enchaînent les hypothèses, les conjectures, les probabilités, mais sans ordre. De là naissent l'obscurantisme, la complaisance dans l'ignorance et les nombreux obstacles au progrès scientifique.

Pour autant, Descartes ne cherche pas à borner sa démarche de connaissance aux seules mathématiques. Il faut seulement que leur certitude serve de modèle pour les autres sciences afin d'avoir dans leurs propres démonstrations "une certitude égale à celle des démonstrations de l'arithmétique et de la géométrie". L'objectif est simplement de mettre de l'ordre dans les sciences. Les mathématiques deviennent ainsi le nouveau modèle pour la recherche de la vérité. Elles constituent pour toutes les sciences une mathesis universalis, c'est-à-dire un savoir universel de tout ce qu'il est possible de connaître.

Texte

"Par là on voit clairement pourquoi l'arithmétique et la géométrie sont beaucoup plus certaines que les autres sciences : c'est que seules elles traitent d'un objet assez pur et simple pour n'admettre absolument rien que l'expérience ait rendu incertain, et qu'elles consistent tout entières en une suite de conséquences déduites par raisonnement. Elles sont donc les plus faciles et les plus claires de toutes, et leur objet est tel que nous le désirons, puisque, sauf par inattention, il semble impossible à l'homme d'y commettre des erreurs. 

Et cependant il ne faut pas s'étonner si spontanément beaucoup d'esprits s'appliquent plutôt à d'autres études ou à la philosophie : cela vient, en effet, de ce que chacun se donne plus hardiment la liberté d'affirmer des choses par divination dans une question obscure que dans une question évidente, et qu'il est bien plus facile de faire des conjectures sur une question quelconque que de parvenir à la vérité même sur une question, si facile qu'elle soit.

De tout cela on doit conclure, non pas, en vérité, qu'il ne faut apprendre que l'arithmétique et la géométrie, mais seulement que ceux qui cherchent le droit chemin de la vérité ne doivent s'occuper d'aucun objet, dont ils ne puissent avoir une certitude égale à celle des démonstrations de l'arithmétique et de la géométrie."

- René Descartes, Règles pour la direction de l'esprit (1628), Règle II : "Il ne faut s'occuper que des objets dont notre esprit paraît capable d'acquérir une connaissance certaine et indubitable", trad. G. Le Roy, in Oeuvres et Lettres, Gallimard, coll. "Bibliothèque de la Pléiade", 1953, p. 41-42.

Ce texte a été donné pour le Bac S en 2014.

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