De la nature des choses est la seule oeuvre de Lucrèce (98-55 av. J.-C.), philosophe latin influencé par la philosophie d'Epicure. Elle est écrite en vers, composée de six livres et probablement inachevée. Lucrèce, Epicure, mais aussi Leucippe et son disciple Démocrite qui en sont les précurseurs, sont les tenants du matérialisme, théorie selon laquelle tout le réel est composé de matière. Ce matérialisme est qualifié d'atomiste au sens où il s'accompagne d'une représentation de la matière comme composée d'atomes (à comprendre étymologiquement comme ce qui ne peut plus se séparer, du grec a-tomein : "qu'on ne peut pas couper").
Le texte ci-dessous est extrait du livre III. Ce livre est consacré à l'étude de la nature de l'âme. Lucrèce vient de défendre l'idée que l'esprit n'est pas différent d'une quelconque partie du corps. Il considère donc l'âme non pas comme une réalité immatérielle, mais comme une substance corporelle. Cette idée a un objectif thérapeutique : il s'agit de vaincre la peur de la mort. Si l'âme est matérielle, elle est corporelle et composée d'atomes, elle ne peut donc pas survivre à la mort du corps auquel elle est attachée. Puisque lorsque nous n'existons point, nous ne souffrons pas, il n'y a aucune raison pour que nous ressentions quelque chose une fois mort. La mort n'est donc pas à craindre.
Pour Lucrèce, "l'esprit et l'âme se tiennent étroitement unis", mais il distingue cependant les deux :
Si l'esprit et l'âme sont étroitement unis, toutefois, l'esprit reste indépendant de l'âme : "il peut raisonner par lui-même et pour lui-même" sans être affecté par une impression venant du corps ou de l'âme. Lucrèce le compare à une partie du corps (la tête) ou un organe (l'oeil) : de même qu'on peut avoir mal à la tête ou à l'oeil, sans que tout le corps soit affecté par la douleur, on peut penser sans se soucier de son corps. Cette raison explique notamment que des théories dualistes, séparant l'âme et le corps, l'esprit et la matière, aient vu le jour.
Cependant Lucrèce observe qu'une crainte très forte peut se répandre dans toute l'âme. On en constate les effets physiques sur le corps : sueurs, pâleurs, bégaiements, etc. De cela, on peut "facilement reconnaître que l'âme est en étroite union avec l'esprit". Mais ce n'est pas tout : non seulement l'esprit terrifié heurte l'âme, mais l'âme ensuite "frappe à son tour le corps et le met en branle". Par conséquent l'esprit, par le biais de l'âme, a une action sur le corps.
Les effets physiques de la peur permettent de constater que l'esprit a une influence sur le corps, mais en outre, ils permettent d'affirmer que "la substance de l'esprit et de l'âme est matérielle". Le fait que cette peur agisse sur nos membres, qu'elle puisse nous empêcher de dormir, ou encore modifier les expressions de notre visage, laisse penser qu'il doit exister quelque chose comme un contact physique. Or, comme un contact ne peut être réalisé qu'entre deux choses matérielles, il faut nécessairement que l'esprit et l'âme soient de nature matérielle.
Enfin, "l'esprit pâtit avec le corps", autrement dit, les sensations qui touchent le corps l'influencent aussi. Lucrèce donne comme exemple "la pointe barbelée d'un trait qui pénètre en nous" : une blessure occasionnée par une arme peut nous faire souffrir et, parfois même, nous faire perdre connaissance. On voit ainsi qu'une action physique (et non plus cette fois psychique comme avec la peur) peut avoir une influence sur l'esprit. En conséquence, non seulement l'esprit peut agir sur le corps, mais le corps lui-même peut agir sur l'esprit. Les interactions entre les deux sont bien la preuve, à ses yeux, de la nature matérielle de l'esprit et de la pensée.
Pour Lucrèce, "l'esprit et l'âme se tiennent étroitement unis", mais il distingue cependant les deux :
- l'esprit : c'est la pensée, elle est présente dans la tête et dans la poitrine, elle domine dans tout le corps, elle est affectée par l'effroi, la peur, la joie, etc., ce qu'on appelle les passions ;
- l'âme : elle est disséminée dans tout le corps, elle obéit et se meut à la fois sous l'impulsion de la volonté et sous celle de l'esprit, elle est donc l'élément moteur du corps.
Si l'esprit et l'âme sont étroitement unis, toutefois, l'esprit reste indépendant de l'âme : "il peut raisonner par lui-même et pour lui-même" sans être affecté par une impression venant du corps ou de l'âme. Lucrèce le compare à une partie du corps (la tête) ou un organe (l'oeil) : de même qu'on peut avoir mal à la tête ou à l'oeil, sans que tout le corps soit affecté par la douleur, on peut penser sans se soucier de son corps. Cette raison explique notamment que des théories dualistes, séparant l'âme et le corps, l'esprit et la matière, aient vu le jour.
Cependant Lucrèce observe qu'une crainte très forte peut se répandre dans toute l'âme. On en constate les effets physiques sur le corps : sueurs, pâleurs, bégaiements, etc. De cela, on peut "facilement reconnaître que l'âme est en étroite union avec l'esprit". Mais ce n'est pas tout : non seulement l'esprit terrifié heurte l'âme, mais l'âme ensuite "frappe à son tour le corps et le met en branle". Par conséquent l'esprit, par le biais de l'âme, a une action sur le corps.
Les effets physiques de la peur permettent de constater que l'esprit a une influence sur le corps, mais en outre, ils permettent d'affirmer que "la substance de l'esprit et de l'âme est matérielle". Le fait que cette peur agisse sur nos membres, qu'elle puisse nous empêcher de dormir, ou encore modifier les expressions de notre visage, laisse penser qu'il doit exister quelque chose comme un contact physique. Or, comme un contact ne peut être réalisé qu'entre deux choses matérielles, il faut nécessairement que l'esprit et l'âme soient de nature matérielle.
Enfin, "l'esprit pâtit avec le corps", autrement dit, les sensations qui touchent le corps l'influencent aussi. Lucrèce donne comme exemple "la pointe barbelée d'un trait qui pénètre en nous" : une blessure occasionnée par une arme peut nous faire souffrir et, parfois même, nous faire perdre connaissance. On voit ainsi qu'une action physique (et non plus cette fois psychique comme avec la peur) peut avoir une influence sur l'esprit. En conséquence, non seulement l'esprit peut agir sur le corps, mais le corps lui-même peut agir sur l'esprit. Les interactions entre les deux sont bien la preuve, à ses yeux, de la nature matérielle de l'esprit et de la pensée.
Texte
"Maintenant, je dis que l'esprit et l'âme se tiennent étroitement unis, et ne forment ensemble qu'une seule substance ; mais ce qui est la tête et ce qui domine pour ainsi dire dans tout le corps, c'est ce conseil que nous appelons l'esprit et la pensée. Et celui-ci a son siège fixé au milieu de la poitrine. C'est là en effet que tressautent l'effroi et la peur ; c'est cette région que la joie fait palpiter doucement : c'est donc là que résident l'esprit et la pensée. L'autre partie de l'ensemble, l'âme, disséminée par tout le corps, obéit et se meut à la volonté et sous l'impulsion de l'esprit.
L'esprit est capable à lui seul de raisonner par lui-même et pour lui-même, et de se réjouir pour lui même, alors qu'aucune impression ne vient affecter l'âme et le corps au même moment. Et de même que la tête, ou l'oeil, sous l'attaque de la douleur, peut souffrir en nous, sans que nous ayons mal également dans tout le corps, de même il arrive que l'esprit soit seul à souffrir ou à être animé par la joie, tandis que le reste de l'âme, épars dans le corps et les membres, n'est ému d'aucune impression nouvelle.
Mais lorsqu'une crainte plus violente vient bouleverser l'esprit, nous voyons l'âme entière s'émouvoir de concert dans nos membres, et sous l'effet de cette sensation les suées et la pâleur se répandre sur tout le corps, la langue bégayer, la voix s'éteindre, la vue s'obscurcir, les oreilles tinter, les membres défaillir, enfin à cette terreur de l'esprit nous voyons souvent des hommes succomber, à quoi chacun pourra facilement reconnaître que l'âme est en étroite union avec l'esprit, et qu'une fois violemment heurtée par l'esprit, elle frappe à son tour le corps et le met en branle.
Ce même raisonnement nous enseigne que la substance de l'esprit et de l'âme est matérielle. Car si nous la voyons porter nos membres en avant, arracher notre corps au sommeil, nous faire changer de visage, diriger et gouverner le corps humain tout entier ; comme aucune de ces actions ne peut évidemment se produire sans contact, ni le contact sans matière, ne devons-nous pas reconnaître la nature matérielle de l'esprit et de l'âme ?
De plus est également vrai que l'esprit pâtit avec le corps, qu'il partage les sensations du corps, comme il t'est facile de le voir. Si, sans détruire tout à fait la vie, la pointe barbelée d'un trait pénètre en nous et déchire les os et les nerfs, il en résulte néanmoins une défaillance, un affaissement à terre plein de douceur, puis une fois à terre une confusion qui naît dans l'esprit, et, par moments, une velléité imprécise de nous relever. Donc, c'est de matière qu'il faut que soit formée la substance de l'esprit, puisque des traits et des coups matériels sont capables de la faire souffrir."
- Lucrèce, De la Nature des choses, t. 1, Livre III, v. 137-177, trad. A. Ernout, Les Belles-Lettres, 1948, p. 120.
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