La Raison dans l'Histoire constitue l'introduction des Leçons sur la philosophie de l'histoire (1837) de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831). Ces leçons ont été publiées après la mort de l'auteur, à partir des notes de cours prises par ses étudiants. Dans cette introduction, Hegel explique que la raison est à l'oeuvre dans l'histoire, c'est-à-dire que, contrairement aux apparences, l'histoire ne se réduit pas au déroulement d'une série de faits désordonnés et chaotiques, mais réalise le développement de la rationalité. Il existe donc un sens de l'histoire vers plus de droits et de libertés.
Le texte ci-dessous est extrait de la partie consacrée au matériel de la réalisation de l'Esprit. Hegel vient de souligner les conséquences désastreuses des passions humaines qui entraînent un déchaînement de violences et de destructions de toute sorte. Mais il ne s'arrête pas à ce constat. Il cherche à comprendre à quelle fin tous ces immenses sacrifices sont accomplis. Ainsi, il estime qu'ils sont, en réalité, les moyens mis au service d'une cause supérieure : la réalisation et la prise de conscience de l'Esprit par lui-même, l'Esprit désignant l'unité entre la réalité et la pensée. Dans l'histoire, le négatif apparaît comme le moyen pour le positif d'advenir, les passions ne s'opposent pas à la raison, mais sont la condition de son développement.
Les passions sont souvent associées à des affects destructeurs et se caractérisent par une certaine passivité (pâtir, passion, passif ont la même racine qui renvoie au verbe latin pati signifiant "souffrir, subir"). Platon ou Descartes opposent par exemple les passions à la raison. Hegel rejoint l'esprit romantique de son époque en revalorisant les passions puisqu'il en fait un élément moteur de l'histoire humaine. Selon lui, les passions sont de puissantes motivations de l'action. Les hommes agissent librement, en suivant leurs propres intérêts particuliers, mais il ne s'ensuit pas un chaos général : "le droit n'en est pas troublé", "l'ordre du monde" non plus. Les passions sont, en réalité, le moyen dont se sert la raison pour progresser.
Certes, d'un point de vue moral, les passions sont égoïstes, intéressées et mauvaises. Mais Hegel s'intéresse à elles en tant qu'elles sont le moyen pour chaque individu de se réaliser par et dans l'action : "ce qui est actif est toujours individuel : dans l'action je suis moi-même, c'est mon propre but que je cherche à accomplir". La moralité d'une action importe peu du point de vue de la philosophie de l'histoire. Que son but soit bon ou mauvais, une action reste toujours un moyen pour l'universel de s'incarner dans l'histoire. Pour Hegel en effet, "l'universel doit se réaliser par le particulier". Il y a donc, en quelque sorte, une ruse de la raison qui va passer par des chemins détournés afin de réaliser sa fin dans l'histoire.
Hegel définit la passion comme "la détermination particulière du caractère dans la mesure où ces déterminations du vouloir n'ont pas un contenu purement privé, mais constituent l'élément actif qui met en branle des actions universelles". De cette définition, il faut retenir que la passion apparaît comme un moyen pour l'universel de s'incarner dans le particulier. La passion est le moteur de l'action historique, elle est une énergie qui va permettre à un individu de donner à son action une consistance universelle. Il y a là une forme de folie de la passion : "l'homme met toute l'énergie de son vouloir et de son caractère au service de ces buts en leur sacrifiant [...] tout le reste". Tout ce qui n'entre pas dans l'ordre de cette passion se retrouve mis de côté. Mais c'est ce qui permet aux idées de s'incarner et à la rationalité de se développer.
C'est pourquoi d'ailleurs il convient de distinguer l'action de l'intention qui n'est qu'une "intériorité impuissante" que l'on retrouve chez "les caractères faibles" et qui finalement ne fait qu'"accoucher d'une souris". C'est bien la force de la volonté, le caractère, donc la passion qui pousse à l'action, pas l'idée elle-même. Les grandes figures historiques - Hegel pense notamment à Alexandre, César ou Napoléon, mais aussi aux génies littéraires et artistiques - suivent leurs passions, égoïstement, mais pour accomplir de grandes choses, c'est-à-dire des actions qui vont avoir un impact sur l'histoire de l'humanité au sens où celles-ci vont renforcer l'emprise de la raison sur le réel.
Hegel revalorise le concept de passion en le considérant comme un intérêt qui refoule tous les autres : "l'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir". C'est en ce sens que "rien de grand ne s'est accompli sans passion". Les passions constituent le moteur du vouloir des grands hommes. Qu'elles soient bonnes ou mauvaises, cela ne compte pas. Ce qui a de l'importance, c'est l'aspect formel de la passion comme moyen d'action, en tant qu'"énergie de la volonté". Seuls ceux qui sont capables de se concentrer sur un objectif aux détriments des autres peuvent prétendre inscrire leur action dans le sens de l'histoire. La raison reste en arrière-plan et laisse les passions agir à sa place. Mais une fois le processus achevé, c'est elle qui a véritablement progressé.
C'est pourquoi d'ailleurs il convient de distinguer l'action de l'intention qui n'est qu'une "intériorité impuissante" que l'on retrouve chez "les caractères faibles" et qui finalement ne fait qu'"accoucher d'une souris". C'est bien la force de la volonté, le caractère, donc la passion qui pousse à l'action, pas l'idée elle-même. Les grandes figures historiques - Hegel pense notamment à Alexandre, César ou Napoléon, mais aussi aux génies littéraires et artistiques - suivent leurs passions, égoïstement, mais pour accomplir de grandes choses, c'est-à-dire des actions qui vont avoir un impact sur l'histoire de l'humanité au sens où celles-ci vont renforcer l'emprise de la raison sur le réel.
Hegel revalorise le concept de passion en le considérant comme un intérêt qui refoule tous les autres : "l'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir". C'est en ce sens que "rien de grand ne s'est accompli sans passion". Les passions constituent le moteur du vouloir des grands hommes. Qu'elles soient bonnes ou mauvaises, cela ne compte pas. Ce qui a de l'importance, c'est l'aspect formel de la passion comme moyen d'action, en tant qu'"énergie de la volonté". Seuls ceux qui sont capables de se concentrer sur un objectif aux détriments des autres peuvent prétendre inscrire leur action dans le sens de l'histoire. La raison reste en arrière-plan et laisse les passions agir à sa place. Mais une fois le processus achevé, c'est elle qui a véritablement progressé.
Texte
"Ici ou là, les hommes défendent leurs buts particuliers contre le droit général ; ils agissent librement. Mais ce qui constitue le fondement général, l’élément substantiel, le droit n’en est pas troublé. Il en va de même pour l’ordre du monde. Ses éléments sont d’une part les passions, de l’autre la Raison. Les passions constituent l’élément actif. Elles ne sont pas toujours opposées à l’ordre éthique ; bien au contraire, elles réalisent l’Universel. En ce qui concerne la morale des passions il est évident qu’elles n’aspirent qu’à leur propre intérêt. De ce côté-ci, elles apparaissent comme égoïstes et mauvaises. Or ce qui est actif est toujours individuel : dans l’action je suis moi-même, c’est mon propre but que je cherche à accomplir. Mais ce but peut être bon, et même universel. L’intérêt peut être tout à fait particulier mais il ne s’ensuit pas qu’il soit opposé à l’Universel. L’Universel doit se réaliser par le particulier.
La passion est tenue pour une chose qui n’est pas bonne, qui est plus ou moins mauvaise : l’homme ne doit pas avoir des passions. Mais passion n’est pas tout à fait le mot qui convient pour ce que je veux désigner ici. Pour moi, l’activité humaine en général dérive d’intérêts particuliers, de fins spéciales ou, si l’on veut, d’intentions égoïstes, en ce sens que l’homme met toute l’énergie de son vouloir et de son caractère au service de ces buts en leur sacrifiant tout ce qui pourrait être un autre but, ou plutôt en leur sacrifiant tout le reste. Ce contenu particulier coïncide avec la volonté de l’homme au point qu’il en constitue toute la détermination et en est inséparable : c’est par là qu’il est ce qu’il est. Car l’individu est un « existant » ; ce n’est pas l’« homme en général », celui-ci n’existant pas, mais un homme déterminé. Le mot « caractère » exprime aussi cette détermination concrète de la volonté et de l’intelligence. Mais le caractère comprend en général toutes les particularités de l’individu, sa manière de se comporter dans la vie privée, etc. ; et n’indique pas la mise en action et en mouvement de cette détermination. Je dirai donc passion entendant par là la détermination particulière du caractère dans la mesure où ces déterminations du vouloir n’ont pas un contenu purement privé, mais constituent l’élément actif qui met en branle des actions universelles. L’intention, dans la mesure où elle est cette intériorité impuissante que courtisent les caractères faibles pour accoucher d’une souris, n’entre évidemment pas dans nos considérations.
Nous disons donc que rien ne s’est fait sans être soutenu par l’intérêt de ceux qui y ont collaboré. Cet intérêt, nous l’appelons passion lorsque, refoulant tous les autres intérêts ou buts, l’individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins. En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion. La passion, c’est tout d’abord l’aspect subjectif, formel de l’énergie de la volonté et de l’action. Le contenu ou le but en restent encore indéterminés – aussi indéterminés que dans le cas de la conviction, de l’opinion et de la moralité personnelles. Il s’agit alors de savoir quel est le contenu de ma conviction, le but de ma passion, – de savoir aussi si l’un ou l’autre est vrai. S’il est vrai, il faut qu’il passe dans la réalité, dans l’existence : c’est alors qu’intervient l’élément de la volonté subjective, lequel comprend tous les besoins, les désirs, les passions aussi bien que les opinions, les idées et les convictions de l’individu."
- Georg W. F. Hegel, La Raison dans l'Histoire (1830), trad. K. Papaioannou, Editions 10/18, coll. Bibliothèques 10/18, Paris, 2004, p. 108-109.
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